jeudi 28 juillet 2011

LETTRE OUVERTE AU CONSEIL CONSTITUTIONNEL: Etudier «l’esprit» de la loi quand la «lettre» tue


Il n’est pas trop tard pour le Conseil Constitutionnel de sortir de sa «léthargie». Il est vrai que dans le passé, la juridiction constitutionnelle dont la jurisprudence devrait constituée une véritable «charte des libertés et droits fondamentaux», a eu des positions discutées et discutables sur lesquelles pèse la suspicion d’un certain «diktat de l’exécutif». Mais espérons, pour parler comme l’éminent philosophe Gaston Berger, que «demain ne sera pas comme hier» ; qu’il sera nouveau afin que la paix règne comme ça a toujours été le cas dans notre cher pays.
Dès lors, il serait de notre devoir, en tant que citoyen d’abord, et en tant que juriste ensuite, de porter un regard d’initié à la problématique de la «légalité de la candidature de Me Abdoulaye Wade» qui défraie la chronique ces derniers temps. Force est de remarquer, en effet, pour dire les choses telles qu’elles sont et non telles qu’on voudrait qu’elles soient comme l’ont fait par ailleurs les constitutionnalistes les plus «autorisés» de notre pays, que la candidature de Me Abdoulaye Wade serait anticonstitutionnelle et en porte-à-faux avec la légalité.
Il est peut-être inutile de rappeler à un juriste que la loi ne dispose que pour l’avenir mais il ne serait certainement pas superflu de signaler qu’il est même un principe général de droit de «recourir à l’esprit de la loi quand la lettre tue». Le juge est, certes, lié par les textes auxquels il cherche à se raccrocher, mais il n’est pas seulement la «bouche de la loi» car le droit, pour parler comme Montesquieu, est «la plus puissante des écoles de l’imagination» et que «…jamais poète n’a interprété la nature aussi librement qu’un juriste la réalité». Et il faut avouer sans ambages que dans le contexte qui nous intéresse, il n’est pas nécessaire d’avoir une très grande imagination pour s’apercevoir que l’esprit de l’article 27 de la constitution plaide pour une irrecevabilité de la candidature de Me Wade si jamais il décide de se présenter, chose qu’il a déjà faite d’ailleurs le 14 Juillet dernier lors de son soi-disant discours avec son «peuple» à lui.


«On lie les bœufs par les cornes et les hommes par les paroles»

L’interprétation de cet article ne doit en principe poser de problèmes et ce, d’autant plus que celui qui était à l’initiative de cette disposition avait avoué en Mars 2007, sans y être contraint et en toute connaissance de cause, que la constitution actuelle ne lui permettait pas de briguer un autre mandat. Il est vrai qu’on peut toujours se dédire, même s’il est irresponsable pour un chef de l’Etat de le faire et de le reconnaître publiquement car, comme le disait le grand juriste Loysel, «on lie les bœufs par les cornes et les hommes par les paroles». Mais on peut quand même le lui pardonner parce qu’ayant atteint un âge ou selon certains oulémas, Dieu lui-même est indulgent à son égard. Au demeurant, ce dédit du président doit-il lié le juge ? Je pense que «non» s’il est effectivement là pour la «vérité».

La science du législateur

La science du législateur consiste à trouver dans chaque matière les principes les plus favorables au bien commun ; la science du magistrat est de mettre ces principes en action, de les ramifier, de les étendre par une application sage et raisonnée, d’étudier l’esprit de la loi quand la lettre tue et de ne pas s’exposer au risque d’être esclave. Qui a dit que la justice n’est pas juste ? Si, elle est bel et bien juste mais à la seule condition que ceux qui en sont chargés le soient. C’est dire ainsi qu’un grand arrêt ou «une grande décision de justice», pour parler pour les non juristes, c’est tout à la fois un nom, une date, une anecdote, une solution objective, une postérité… C’est dans son objectivité que tout spectateur du droit se trouve appelé à vivre ; magistrats, professeurs et juristes de manière générale appartiennent à cet égard au même monde d’initiés. Le dialogue est donc entretenu, honorables magistrats, entre gens de métier et l’on sait, pour avoir lu Molière, que le maître de danse et le maître de musique, s’ils n’oublient pas leur concurrence, s’unissent contre le maître d’escrime.
Sous le bénéfice de ces observations, il me plairait de rappeler à notre cher Conseil Constitutionnel cet apophtegme du doyen Vedel : «Une loi s’avale, un arrêt se savoure». Osons espérer, dès lors, que la juridiction constitutionnelle saura faire fi «à la pression de l’exécutif» afin que son arrêt soit savouré et puisse se savourer éternellement...


Moustapha TAMBEDOU
Juriste
tambedoumoustapha@hotmail.fr

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire