lundi 10 janvier 2011

JACQUES HABIB SY: «Dans l’Etat actuelle du Sénégal, dire que nous sommes sortis de la pauvreté, c’est un mensonge d'Etat"


«L’échec de Samuel Sarr dans le secteur de l’énergie, c’est l’échec personnel avant tout du président Wade»
«Si le Sénégal basculait dans la guerre civile, il est certain que cela entraînerait une très grave instabilité dans la sous-région»
«Cette opposition politique, c'est une opposition qui est à la croisée des chemins»
«Il y a une sorte d’hémorragie financière qui passe par toutes les pores du pays à travers lesquelles les richesses créées s’en vont dans des paradis fiscaux»
«Le Fesman a été une orgie financière. Il n’a ni tête ni queue, il n’a aucune substance»
«Cette opposition, très honnêtement je ne la sens pas. Elle est tout à fait amorphe»
«Dans l’affaire Bara Tall, le secteur privé national fait preuve d'une grande cécité»
«Les chefs religieux sont des entrepreneurs politico-financiers. Beaucoup d'entre eux utilisent l'Islam comme un fonds de commerce»


Après avoir réagi sur la saisine du siège de l’entreprise de Bara Tall, Jacques Habib Sy, qui avait disparu de la circulation pour des raisons professionnelles, a accordé un entretien à votre journal préféré. À bâtons rompus, l’actualité économique, sociale et même politique est passée au peigne fin par le Secrétaire exécutif de l’Ong Aid Transparency, qui déclare que parler de la fin de la pauvreté relève du «mensonge d’Etat». Sur l’énergie, il estime que «l’échec de Samuel Sarr, c’est l’échec personnel avant tout du président Wade» et, parlant du Festival mondial des arts nègres qui vient de s’achever, il le qualifie «d’orgie financière» qui «n’a ni tête ni queue, aucune substance». De l’opposition qui «est tout à fait amorphe » au «secteur privé national (qui) fait preuve d'une grande cécité» dans l’affaire Bara Tall, en passant par «les chefs religieux (qui) sont des entrepreneurs politico-financiers», Jacques Habib Sy dit tout.



M. Sy, pourquoi on ne vous entend pas trop vous prononcer sur l’actualité ?
J’ai été pris hors du Sénégal en raison des charges professionnelles qui pèsent sur moi. Comme vous savez, mes activités sont souvent des activités de consultance à l’échelle internationale. Parce que je suis avant tout un spécialiste de la planification des services de communication par satellite. En dehors de cela, je viens de boucler une conférence internationale sur la conservation des manuscrits anciens en mettant pour la première fois en lice des bibliothécaires, des archivistes ainsi que des détenteurs privés de manuscrits anciens. Parce que nos manuscrits sont très gravement menacés. Il y a toutes ces questions qui m’ont pris et qui font que j’ai été tout ce temps-là en dehors du Sénégal tous ces mois passés.

Votre dernière interview, c’était avec notre journal, en octobre 2009, lors de l’affaire Segura. Nous sommes en janvier 2011, avez-vous retrouvé le Sénégal tel que vous l’aviez laissé ?
Le Sénégal est en train de régresser à vue d’œil. Je n’en veux pour preuve que l’incidence de la pauvreté. Ceux qui estiment que le Sénégal est un pays qui émerge, qui va vers l’émergence, à mon avis, font une très grave erreur, au mieux et, au pire, font preuve d’une très grave méprise sur les incidences de la pauvreté dans ce pays. Parce que les mendiants sont dans la rue, les enfants continuent de mendier en guenilles, les gens arrivent à peine à manger trois repas par jour. Je pense même qu’ils en mangent un seul. Je suis allé dans les quartiers populaires, il y a des jeunes qui se bloquent l’estomac avec des aliments très peu nutritifs, juste pour pouvoir se donner l’impression qu’ils n’ont pas faim. Il y a des femmes qui continuent de manger du kaolin. Nous continuons d’avoir une incidence de mortalité effroyable en ce qui concerne les femmes qui mettent au monde des enfants etc. La liste est pratiquement inaltérable. Nous voyons le monde rural qui est complètement pris dans l’engrenage de l’ajustement structurel et de la privatisation, de la libéralisation. Ce qui fait que malgré un hivernage assez généreux, nous en sommes encore au point où les paysans sont en train de brader leurs récoltes dans les loumas (marchés hebdomadaires) à vil prix, simplement parce qu’ils ont affaire à un circuit de commercialisation entièrement pris en otage par des spéculateurs. Et dans tout cela, l’Etat est pratiquement absent et ne se contente que de réparties verbales. Or, on ne peut pas construire une nation juste à partir du discours.

Le tableau que vous dressez est différent de celui du président de la République, qui dit, dans sa dernière adresse à la Nation, que nous sommes sortis de la pauvreté et que nous avons atteint l’autosuffisance alimentaire…
Je qualifierais cela, en pesant les mots, de mensonge d’Etat. Vous savez, les Etats ont recours à cette technique pour pouvoir se maintenir en place. Mais un mensonge d’Etat est une sorte de travestissement des faits économiques et sociaux, et des faits de gouvernance. Dans l’Etat actuel du Sénégal, dire que nous sommes sortis de la pauvreté, cela va d’ailleurs à l’encontre de toutes les statistiques dont nous disposons en l’état actuel. Parce que même les alliés les plus imminents de l’Etat du Sénégal, c'est-à-dire la Banque mondiale, le Fmi, disent que l’incidence de la pauvreté est exactement à hauteur de 63%. D’autre part, il y a que l’accès à l’eau est devenu difficile, sinon très difficile. Comme vous savez, il y a à peu près deux ans, il y avait 500 villages qui avaient des points d’eau que se partageaient les hommes et les animaux. Actuellement, nous sommes à près de 800 points d’eau. Donc, on ne peut pas dire dans ces conditions que la pauvreté a disparu au Sénégal. Tous ceux qui visitent le Sénégal sont frappés par l’immense désespérance qu’on rencontre, non seulement dans les rues d’une capitale engorgée où il y a plus de 1/5 de la population, mais dans la plupart des villes secondaires du pays, ainsi que des campagnes. J’habite à Yoff et j’ai connu trois jeunes du village qui jusqu’ici m’ont beaucoup marqué. Parce que peu avant de disparaître dans l’océan, ils sont venus me voir en me disant : «On ne peut plus subir ça. On ne peut plus regarder nos papas, nos mamans et demander de quoi survivre». Je leur ai dit : «patientez un peu, on va essayer de trouver quelque chose». Une semaine après, ils ont pris les pirogues pour l’Espagne. Ils n’ont jamais été retrouvés. Alors ces jeunes qui sont partis, est-ce que l’Etat n’a pas une responsabilité directe dans leur décès ?

À vous de nous le dire.
Je crois que la réponse est établie à partir du moment où vous avez le taux de chômage qui a dépassé le seuil du tolérable, ces jeunes n’ont d’autre espoir que tenter l’aventure pour traverser l’océan et périr. Aujourd’hui, il y a des milliers de jeunes qui ont péri comme ces trois de Yoff. Personne ne connaît leur nombre, personne ne s’est ému d’ailleurs de faire des enquêtes de terrain, de prendre des statistiques. Il y en a qui ont avancé le chiffre d’une dizaine de milliers, d’autres 5000, d’autres 4000. Mais personne ne sait au juste combien de jeunes ont péri dans les fonds océaniques. Et c’est ça l’un des grands problèmes de l’Alternance. À cela s’ajoute cette catastrophe énorme qu’on a connue dans ce pays, la tragédie du Joola. Je n’aurais jamais pu imaginer qu’aujourd’hui, en 2011, des années après ce drame, ce gouvernement de l’Alternance aurait pu survivre à un scandale pareil. Au moment où je vous parle, pas une seule condamnation, ceux qui devaient être condamnés ont pignon sur rue aujourd’hui et dirigent des structures importantes. À côté de cela, vous avez des cas de corruption et de mal-gouvernance qui ont atteint un point tellement endémique que la Banque mondiale, l’Union européenne, le Fmi, tous les partenaires les plus importants du Sénégal reconnaissent que c’est un pays où elle existe dans toutes les couches de la nation. Et qu’il est important quand même de mener des actions pour juguler ce mal.

On sait que les marchés publics sont justement des niches de corruption. Pourtant on a réformé le Code des marchés qui met des pans entiers de la commande publique hors du contrôle de l’Armp et de la Dcmp. Qu’est-ce que cela vous inspire comme commentaire ?
Écoutez, le décret qui avait fait que j’avais fait partie de l’Armp pour le compte de la Société civile m’a toujours laissé dubitatif. Parce que cette structure avait été mise en place avec des procédures qui me semblaient très peu démocratiques. Il eut fallu, avant de mettre en place l’Armp, avoir de sérieuses discussions avec l’ensemble de la société civile, avec le secteur privé dans son ensemble. Ce qui n’a pas été tout à fait le cas. Les gens ont été choisis, il me semble, un peu au hasard et personnellement, je ne pense que je sois, dans la Société civile, la personne la mieux qualifiée pour cette tâche. Il y a d’éminents chercheurs, des spécialistes de la question des marchés publics qui, j’en suis sûr, peuvent mettre leurs talents à la disposition de la Société civile et de toutes les autres parties, et qui n’ont jamais été concernés.
Donc ce qui s’est passé par la suite m’a confirmé dans les appréhensions de départ, à savoir que c’était juste un mécanisme utilisé par le président de la République pour mieux masquer la mal-gouvernance, mieux masquer les tensions extrêmes qu’il fait peser sur la trésorerie publique.

Mais on ne peut quand même pas reprocher à l’Armp de n’avoir pas fait son travail…
L’Armp a eu des résultats que je qualifierais de mitigés. Il ne faut quand même pas oublier que le Comité de règlement des différends (Crd) a eu à statuer et à bien statuer sur beaucoup de cas. Mais tout de même, c’est une manne de près de 800 milliards de francs Cfa que constitue la commande publique. Et dans ces 800 milliards, je ne pense pas que l’Armp ait statué sur la moitié de ce pactole. Il faut signaler que le cas qui m’a le plus choqué, personnellement, c’était le cas Bara Tall. Lorsque des demandes de renseignement ont été formulées, rien n’est parvenu, sauf quelques pièces sur la bases desquelles M. Bara Tall avait été débouté de ses demandes à l’Anoci. Ce que je trouvais particulièrement injuste. Le Crd se ramenait à trois ou quatre personnes qui ont pris cette décision-là. Donc, à côté des bonnes actions qu’ils ont faites, il y a eu des dérapages, des attitudes complices et extrêmement complaisantes vis-à-vis du pouvoir. Et je crois que c’est ce qui les a rattrapés par la suite. Parce qu’il ne faut pas oublier que l’Etat, c’est un monstre froid, il n’a que des intérêts.

Et que dites-vous alors de l’exclusion du Forum civil du Conseil de régulation de l’Armp ?
Je pense qu’ils ont exclu le Forum civil parce qu’ils ont été un peu gênés par la collusion et le rôle direct qu’il a joué dans l’organisation des Assises nationales. Le pouvoir a vu tout de suite une collusion avec l’opposition. Mais c’est dommage tout cela parce que quand même il y a une séparation qu’il faudrait opérer entre le champ purement politique, entre politiciens si vous voulez, et le champ du processus démocratique qui lui appartient à la société dans son ensemble, aux forces physiques qui ont le devoir, la responsabilité de se comporter en vigile de la société. Ceux qui pensent que la Société civile est une force politique qui peut faire le contrepoids face aux partis politiques dominants font une très grave erreur. Ce n’est pas exact. Les organisations de la société civile n’ont pas les capacités de mobilisation – elles-mêmes ne le formulent même pas de la sorte- pour pouvoir embrasser large sur le front politique. Ne peuvent s’exprimer que ceux qui véritablement, par exemple dans les campagnes présidentielles, ceux qui briguent les suffrages des Sénégalais. Et vous voyez que souvent, ils ne dépassent pas les 2%. Donc il y a une césure totale à faire en ce qui concerne la place de la société civile dans processus démocratique en cours. Personnellement, là où je me sens le mieux à l’aise, c’est dans le rôle de vigile, le rôle d’analyste, et nous, à Aid Transparency, avons surtout mis l’accent sur l’analyse des politiques économiques et sociales et de gouvernance.

Dans cette analyse des politiques économiques et sociales et de gouvernance, que retenez-vous du secteur énergétique qui se débat encore dans des difficultés, 10 ans après l’Alternance ?
N’oublions quand même pas que le président de la République avait dit que nous avions le meilleur homme, le meilleur expert du secteur de l’énergie en la personne de Samuel Sarr. Donc l’échec de M. Sarr dans le secteur de l’énergie, c’est l’échec personnel, avant tout, du président Wade. Ensuite, qu’est-ce qui nous garantit que M. Karim Wade va réussir à rectifier le tir, là où un chapelet d’experts a échoué ? De plus, le fait qu’il ait amené des forces de l’ancienne puissance coloniale pour faire des audits me paraît un peu saugrenu parce que tout de même le Sénégal compte beaucoup d’experts en la matière et aurait pu se passer de l’expertise de Edf.

Et vous en déduisez quoi ?
Depuis quelque temps, on note une volonté délibéré du chef de l’Etat de placer son propre fils aux postes de commande. Je crois que maintenant, ce n’est plus un secret pour personne que M. Karim Wade a des prétentions pour gouverner le Sénégal. il est dans les matches de football, les galas de lutte, il est partout à la fois. Il a un ministère qui regroupe trois ministères ou quatre. Enfin, bref ! M. Karim Wade est partout, il est devenu la personne devant qui des ministres se prosternent, montrent un signe de respect similaire à celui dû au chef de l’Etat. Que je sache, il ne fait pas partie de la nomenclature présidentielle, les Sénégalais ont donné leurs suffrages au président de la République actuel et non à son fils. Il serait inacceptable - de toute façon personne ne l’accepterais- que son fils lui succède comme cela s’est vu un peu partout en Afrique. Si on veut faire l’économie d’une guerre civile au Sénégal, il faudra mettre par terre le projet de dévolution monarchique du pouvoir et laisser les Sénégalais choisir leur prochain président de la République.

Voulez vous dire que nous ne sommes pas à l’abri d’une situation similaire à celle de la Côte d’Ivoire actuellement ?
Il y a effectivement des similarités. Très souvent, on pense qu’il y a une exception sénégalaise. Je ne le crois pas du tout. Regardez notre tissu économique, il est beaucoup plus fragile que celui de la Côte d’Ivoire malgré les affres de la guerre civile depuis 2002. Le pays clopine encore parce que tout simplement il y a eu une sorte de médiocrité de notre classe politique qui s’est arc-boutée sur ses intérêts personnels au détriment de ceux de la majorité. En dehors de cela, il faut noter qu’en Côte d’Ivoire, il y a un niveau de création de richesses qui est infiniment supérieur à celui du Sénégal. C’est peut-être ce qui complique la situation parce qu’il y a des intérêts français, des intérêts stratégiques surtout sur les minerais qui sont considérables. Toutes les grandes puissances y sont agglutinées à l’appareil de production de richesse.
Mais dans le cas du Sénégal, ce qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est que sur le plan géopolitique, il joue un rôle absolument essentiel. Si le Sénégal basculait dans la guerre civile ou montrait un signe d’essoufflement économique tellement prononcé, il est certain que cela entraînerait une très grave instabilité dans la sous-région, notamment dans l’espace Uemoa. Donc, je crois que nous ne sommes à l’abri de rien du tout. Les militaires finissent par maugréer, les marabouts se plaignent de partout malgré tous les avantages qui leur sont consacrés. Donc prévaut, véritablement, une sorte de désamour avec le pouvoir en place. Il y a une très grande déception. Je crois que la déception, c’est le sentiment le mieux partagé aujourd’hui au Sénégal.

Et comment sortir de cette impasse ?
Je crois qu’il appartient aux partis politiques, à la Société civile au sens large, y compris la presse qui a une très grande responsabilité dans l’élection de Me Wade en 2000, de se mobiliser. Il ne faut pas oublier que la presse a véritablement accompagné de façon très puissante l’élan généreux du peuple sénégalais pour la survenue de l’Alternance. Mais il n’y a pas eu d’alternance. L’alternance a été dévoyée. Il y a eu des crimes de sang, des crimes économiques qui sont jusqu’ici impunis, et même sont encouragés par-dessus tout. Il y a des crimes que je qualifierais de sociaux. C’est par exemple lorsqu’un Etat laisse mourir 8000 femmes par ans dans les accouchements. Regardez ce que cela représente en termes de Boeing qui ont fait de crash. C’est une catastrophe si on sait qu’un Boeing fait 300 personnes. Les gens ne se rendent pas compte du nombre de morts, que ce soit les femmes qui accouchent, les jeunes qui périssent de paludisme ou de sida. Il y a les jeunes diplômés qui quittent le Sénégal en très grand nombre, les professeurs qui désertent les Facultés. C’est pour dire que nous sommes dans une crise multidimensionnelle de nature exceptionnelle.
Où va le Sénégal, quel avenir réservons-nous à nos enfants, aux générations futures ? je crois qu'il y a des questions à se poser qui restent sans réponses. Certains minerais, les phosphates par exemple, sont en train d'être épuisés. À l’échelle d'une génération, nous aurons épuisé les phosphates disponibles. C'est un appauvrissement pour le Sénégal. Là, nous n'avons pas fait le meilleur usage de ces richesses. Il y a l'or de Sabodala, l'ancien gouvernement avait développé ce projet de telle sorte qu'on avait une joint-venture, on a enlevé cela pour apporter un secteur privé international, le résultat est extrêmement décevant, cela a entraîné une instabilité dans ce secteur-là avec de zéro retombée pour les populations du Sénégal Oriental. A telle point que cette zone s’est embrasée très rapidement comme une traînée de poudre.
On peut dire aujourd'hui que le Sénégal, parlant de la Casamance, que la guerre est trop loin du vécu des Sénégalais. Mais le jour où la guerre se déportera au Centre du pays et dans tous les autres coins du Sénégal, à travers des actions de guérilla, je crois que ce sera une sorte de métastase au niveau de la société. Mais pour l'instant, on peut dire qu'il y a plusieurs Casamances dans ce pays. Regardez le Nord du Sénégal, vous pouvez parcourir des dizaines de kilomètres sans voir un seul arbre, pas un seul endroit où vous pouvez avoir de l'ombre. Le Fouta se sent piégé par ce modèle de développement. Prenez le Boundou, tout a été essentiellement construit par des travailleurs émigrés. Ces travailleurs émigrés, dans l'ensemble du Sénégal, ont réussi quand même, avec beaucoup de vaillance, à tenir l'économie à bout de bras. On peut dire aujourd'hui que ce sont les travailleurs émigrés qui tiennent le pays. Malgré cela, ils n'ont droit à aucun respect. Il n'y a pas de programmes particuliers qui puissent leur permettre de se faire une place dans le dispositif économique. Le dispositif lui-même est en cours et c'est pourquoi je récuse tout le temps ces taux de croissance surfaits de 6%, de 7%. Ce sont des chiffres tout à fait ridicules, en ce sens que lorsque vous prenez le taux de croissance, vous enlevez la part de la part de la communauté libanaise, vous enlevez la part des 400 entreprises françaises qui dominent l'économie, vous avez au mieux un taux de croissance de 1,8 à 2%. Donc c'est un taux de croissance médiocre, nettement en deçà de la moyenne observée dans le cadre de l'Uemoa et beaucoup plus bas dans le cadre de l'Afrique de l'Ouest et de la Cedeao. C'est dire que le Sénégal actuellement a sérieusement dégringolé, tous les agrégats sont au rouge, sans que le pouvoir réalise cela.

Malgré ce tableau sombre que vous peignez, comment expliquez-vous le manque de réaction des populations, des partis politiques et des autres organisations ?
C'est un problème très difficile, lorsque vous analysez la source de l'argent dont dispose le parti dominant, c'est-à-dire le Pds, c'est essentiellement l'Etat. Il dispose des terres, il dispose du pouvoir de nomination, il dispose des portefeuilles publics, il dispose d'un certain nombre de ressources. C'est ce bien public quintessenciel qui est l'objet d'une compétition de plus en plus féroce. Et l'Etat ne se prive pas de l'utiliser pour perdurer et pour pouvoir rester pendant 50 ans, comme le disait Me Abdoulaye Wade.
Il y a ce premier élément, donc il faut une réforme en profondeur du financement de l'activité politique au Sénégal. En tout cas, on ne peut pas laisser le parti Etat se comporter de façon si partisane. À partir du moment où on laisse le parti Etat montrer sa toute puissance, et son pouvoir corrosif vis-à-vis de la classe politique, on ne peut avoir que ce type de développement et de prébendes qui sont utilisées comme moyen politique. Vous prenez cette opposition politique, c'est une opposition qui est à la croisée des chemins. Parce que la plupart des acteurs ont été là depuis les indépendances, donc la grande question qui se pose, c’est où est la relève. Est-ce que la relève est perçue dans les jeunesses qui sont des appendices des partis politiques, Mais qui sont des appendices qui n’ont pas la possibilité de remettre en cause les paradigmes à partir desquels leurs aînés avaient construit leur projet de société ? Je crois qu’on ne peut pas s’attendre à des miracles de la part de cette jeunesse partisane.
Mais par contre, lorsque vous voyez les jeunes qui sont beaucoup plus nombreux, qui ne sont pas dans les partis politiques, ils ont des aspirations beaucoup plus profondes que celles qu’on leur présente dans le système politique en cours. Ils ont un alphabet politique totalement différent de celui qu’on a connu jusqu’ici. Ils cherchent confusément leurs voies, parce que les partis politiques n’ont pas fait un travail en profondeur qui consisterait à les former. Quelle est l’idéologie à partir de laquelle on veut opérer ? L’idéologie, c’est comme l’air qu’on respire, il est évident qu’il n’y a pas mort des idéologies.
Lorsqu’on voit les prétentions telles qu’elles sont exprimées par la classe politique dominante aujourd’hui, c’est de regarder un secteur, juste un secteur, le secteur des fonctionnaires. Les fonctionnaires se sont appauvris de 60% entre 1960 et maintenant. Donc ça, c’est un indicateur suffisamment puissant, suffisamment vivace, que le système s’est effondré ; le système ne marche pas. Alors comment le reconstruire, comment reconstruire le secteur primaire ? Comment faire en sorte que le secteur secondaire se comporte de façon à créer des richesses qui puissent maintenir le niveau de vie des populations, surtout faire en sorte qu’il y ait de nouvelles filières ? Comment faire en sorte que les Pme puissent se développer à travers une politique de taxation, une politique fiscale qui ne tue pas l’initiative privée et au contraire l’encourage. Aujourd’hui, je crois que l’État a réussi à mener le budget national aujourd’hui là où il se trouve en le multipliant par deux ou trois actuellement, parce que simplement on a tellement tapé dans la poche des Sénégalais, on a tiré sur tout ce qui bougeait sur le front fiscal, et à présent on se rend compte que l’argent n’est pas utilisé de façon démocratique, et de façon surtout utile.
Face à toutes ces questions, c'est une présidence de la République à travers 32 ou 34 agences créées ex-nihilo et qui échappent totalement au contrôle du fisc, qui est en train évidemment de participer très gravement à la fragilisation de l’État et à l’appauvrissement de l’État du Sénégal et de toute la nation. La question que je me pose, c’est : est-ce que les gens voient bien que depuis l’indépendance jusqu’à maintenant, le système de colonisation économique qui maintenait la colonisation en l’état, est resté presque tel quel ? C’est la même société privée française qui est là, il y a la classe tampon libano syrienne qui est toujours là et à côté de cela, il y a un secteur privé national tout à fait médiocre. Alors comment voulez-vous que la pauvreté s’en aille ?
Il y a une sorte d’hémorragie financière qui passe par tous les pores du pays à travers lesquels les richesses créées s’en vont dans des paradis fiscaux. Elles ne restent pas au Sénégal, elles ne sont pas injectées ici, c’est pour ça que la jeunesse n’a pas d’emplois. La jeunesse ne peut pas créer de richesses, c’est impossible ; c’est pourquoi les jeunes sont un peu partout. Nous sommes 800 000 en Côte d’Ivoire, un million dans d’autres pays etc. Nous sommes éparpillés un peu partout, des centaines de milliers aux États-unis. On ne peut pas construire un pays avec ça.

Il y a trop de bruit autour du Festival mondial des arts nègres, avec peu de transparence sur l'argent utilisé ?
On a vécu pire. Parce que, tout de même, vous prenez un chef de l’Etat qui commet deux parjures. Le premier, c’est à travers la construction du colosse des mamelles. Un chef de l’État, c’est nous qui le payons, nous garantissons son salaire ; s’il vient maintenant nous dire que c’est lui le propriétaire intellectuel de cette œuvre, il y a vraiment des dérapages extrêmement graves dont s’est rendu coupable Me Abdoulaye Wade, en bradant nos terres pour payer une statue qui aurait pu créer au moins une dizaine d’hôpitaux, c'est-à-dire un hôpital régional de grande classe dans les différentes parties du pays. L’autre aspect, c’est ce qu’on a vécu à travers son lopin de terre, qui se trouve du côté du virage où il a construit le village. Il y a des structures physiques qui sont mises là, qui ne vont pas partir, il y a des routes ; c’est sur son terrain, c’est son terrain personnel. Il l’a mis, j’ai entendu, au nom de son fils. J’en ai pas la preuve, mais quoi qu’il en soit, c’est son bien personnel. Je crois que ce n’était pas correct de prendre l’argent public, l’argent du Sénégal, pour l’investir dans une entreprise familiale. Ne serait-ce que de ces deux points de vue, on peut estimer que le festival a été une orgie financière. On ne sait pas quel est le chiffre, il a d’abord dit 5 milliards, ensuite il a parlé de 17 milliards ; c’est une énorme nébuleuse. On attend des clarifications. Mais il reste qu’il faudrait quand même que les institutions, malgré tout l’apparentement politique, puissent jouer leurs rôles. Rien n’empêche le Sénat d’exercer véritablement son rôle de contrôle ainsi que l’Assemblée nationale. Je crois qu’il y a des dérapages qui sont inacceptables dans le Sénégal d’aujourd’hui. Le festival s’avère potentiellement un autre scandale avec tous les dérapages qui ont été dénoncés.
Pourtant, Me Wade déclare que le Festival n’a pas de prix ?
Ces procédés-là, ce sont des procédés politiciens de bas étage, très décevants, d’un chef d’État comme Monsieur Abdoulaye Wade au crépuscule de sa vie, qui devrait avoir un sens de l’équité et de la justice beaucoup plus grand. Il devrait faire preuve de beaucoup plus de compassion vis-à-vis des Sénégalais. Au moment où les militaires sont tombés sur le champ d’honneur, au moment où une grande partie des populations vit en détresse dans des eaux boueuses, monsieur Abdoulaye Wade organise un festival qui n’a ni tête ni queue. Parce que ce festival-là n’a aucune substance. Tous les intellectuels qui avaient été trompés un moment et qui étaient venus, pensant qu’ils allaient pouvoir débattre de questions essentielles, sont repartis désabusés. Ce sont là des lacunes coupables, des manquements que le peuple sénégalais devrait sanctionner très sévèrement, non seulement à travers un vote négatif, un vote de défiance, mais en plus il faudrait entrevoir la possibilité de poursuivre des crimes. Parce que ce sont des crimes économiques doublés de crimes de sang.

Il faudrait qu’il y ait alternative en face, et dans l’opposition, c’est toujours la guéguerre pour une candidature unique ou plurielle…
Cette opposition, je ne la sens pas ; très honnêtement, je ne la sens pas. Prenez le cas précis des inondations : pendant quatre ans, on n’a pas senti l’opposition. Elle devrait se positionner, mais on n’a pas senti l’opposition dans toute sa puissance mettant des moyens, organisant même - parce que le peuple sénégalais est généreux - des donations pour que les gens puissent faire face à la crise. Mais au lieu de cela, on a vu une opposition tout à fait amorphe. Vous prenez le cas de toutes les grandes crises qui ont lieu ici, prenez le cas du Joola par exemple, quel rôle a joué l’opposition dans cette crise-là. Au finish, on n’a pas eu de résultats probants sur la capacité de mobilisation de l’opposition. On a vu qu’ils ont perdu beaucoup de temps dans des réunions de salon, ensuite quand ils se sont un peu essoufflés, ils ont cru qu’à travers l’organisation des Assises nationales, qu’avec la Société civile, on aurait fait un bond qualitatif. Mais cela n’a pas eu lieu, parce qu’ils ont en face un politicien qui, il faut le reconnaître, est assez talentueux dans la capacité de nuisance. C’est de ce point de vue seulement qu’on peut lui reconnaître un talent. Mais, l’opposition fait ce qu’elle peut. Dans tout cela, et le peuple sénégalais ? C’est un grand problème. Parce que les populations les plus pauvres, vous discutez avec elles, vous leur donnez les faits, vous leur faites toucher du doigt les problèmes, dès que vous tournez le dos, elles se laissent aller. Il y a une corruption des consciences. C’est ça le grand problème. Les consciences sont obscurcies, les gens ne voient pas très loin et donc, c’est pourquoi on a vu les imams prendre le relais avec succès, et les gens les suivre. Mais on est en face d’une population qui a véritablement perdu espoir et qui peut-être montre une méfiance vis-à-vis de la chose politique. Parce que quand même, ce que l’alternance a créé, c’est une énorme déception au niveau de la population. Je crois qu’après, pour que des forces politiques puissent développer un message crédible, il va falloir faire beaucoup plus qu’actuellement. C'est-à-dire, ce n’est pas des slogans, mais un travail beaucoup plus sérieux, beaucoup plus soutenu au niveau de la population et beaucoup plus massif. Malheureusement, c’est le pouvoir de l’argent qui actuellement domine tout ce processus-là. Il y a des dizaines de milliards qui sont investis dans ce processus. Il ne faut pas se faire d’illusions, ce n’est pas seulement des fonds internes, ce sont des fonds de l’État, ce sont des fonds qui viennent de l’extérieur. Dans ces conditions-là, le combat est tout à fait inégal. Mais malgré tout cela, il ne faut pas oublier quand même qu’en 2000, nous étions dans des circonstances similaires. Et que malgré sa toute puissance, le parti socialiste de l’époque n’avait pas réussi à juguler la levée de boucliers nationale qui l’a conduit à rendre le tablier et à quitter le pouvoir. Je crois que les mêmes circonstances peuvent être, sauf qu’ici, en la circonstance, nous sommes à quelques mois des élections et véritablement, lorsque vous voyez les chiffres département par département, village par village, il n’y a pas encore des structures mises en place sur le terrain pour pouvoir préparer les populations. Et ceci est vraiment inquiétant.

Est-ce que les Assises nationales ont participé à la création d’une nouvelle société sénégalaise ?
Les Assises n’ont fait que brosser de façon générale les problèmes. Il y a eu, c’est vrai, des contributions d’une exceptionnelle qualité, au cours de ces débats-là, mais ce n’était pas suffisant. Ce qui a probablement manqué, c’est peut-être de grands consensus sur la façon dont la politique est menée. Ça, c’était la première chose ; à partir de quels outils, à partir de quels mécanismes devions-nous engager l’action politique ? C’est là où on a buté, nous n’avons pas pu définir une réforme qui aurait pu véritablement satisfaire tout le monde, parce que les courants politiques sont éclatés entre un socialisme bon teint, quelqu’un qui se réclame du communisme, quelqu’un qui n’a même pas d’idéologie qui se réclame tout simplement des lois du marché. Comment concilier toutes ces exigences-là ? je crois que ça, personne n’y a encore répondu. La question à laquelle on n’a pas répondu, c’est comment faire la politique autrement ? Personne n’y a répondu précisément, et personne n’a fait une autocritique approfondie de son action au cours des 50 dernières années. Ce n’est pas demander pardon d’avoir amené Abdoulaye Wade au pouvoir, mais c’est regarder l’action menée. Le modèle politique dominant n’a jamais été remis en cause.

Malgré le sort qui s'abat sur les 3 000 travailleurs de Jls, au-delà de Bara Tall, on assiste à une réaction timide de l'opposition et un silence coupable du secteur privé. Comment expliquez-vous cela ?
L'opposition a toujours réagi à contretemps dans des situations aussi complexes. Elle était attendue, elle a mis beaucoup de temps à réagir. Ce n'est pas seulement l'affaire Bara Tall, c'est le secteur privé dans son ensemble. La classe politique réagit très, très lentement. Les déclarations n'auraient de toute façon pas suffi à juguler le mal. Et le mal, c'est que Monsieur Bara Tall, on a détruit son entreprise. Il a formé pendant des décennies des cadres de très haut niveau qui sont en train de partir en Angola, en République démocratique du Congo, un peu partout à travers la sous-région. Ça, ce sont des pertes inestimables. C'est plus important que les pertes en argent. Ensuite, il y a le fait qu'il y a plus de 3 000 pères de familles qui vont aller au chômage. Quand on multiplie ce chiffre par 5, on voit l'effet que cela fait sur des populations non négligeables.
Il y a aussi le fait que le secteur privé national fait preuve d'une grande cécité. Parce que ce qui arrive à M. Bara Tall pourrait très bien leur arriver demain. Deuxièmement, s'il laisse le pouvoir fragiliser une seule entreprise, c'est une action de trop qui pourra demain, ou dans pas très longtemps, lui retomber sur les pieds. Il est essentiel que le secteur privé national - je ne parle pas de tout le monde, parce que dans ce secteur privé, il y en a qui ont montré des attitudes de principes très fermes sur cette question-là, mais ils n'ont pas été suivis - il y ait un mouvement d'ensemble ferme et qui fait bloc autour de M. Bara Tall, pour que ces dérives autoritaires et dictatoriales cessent. Parce que cela porte atteinte non seulement au tissu économique national, mais aussi à l'honorabilité de M. Bara Tall et au gagne-pain de beaucoup de milliers de Sénégalais. Qu'allons-nous faire de ces Sénégalais qui se retrouveront du jour au lendemain au chômage et qui depuis des mois et des mois font preuve d'une grande dignité face à l'adversité ? Il faut que les gens se mobilisent. Je suis d'accord avec les initiatives prises par la Société civile et visant à faire en sorte que M. Abdoulaye Wade desserre l'étau. Et paie à M. Bara Tall son dû. Même si son dû lui était payé maintenant, le mal est déjà fait. Pour se relever d'un coup comme celui-ci, il faut plusieurs années de dur travail, pour remettre l'entreprise à flot.

Dans une affaire aussi grave, on ne sent pas les chefs religieux. Pourtant les 3 000 travailleurs qui risquent d'être jetés dans la rue sont leurs talibés. Et pour des différends concernant Wade et certains de ses collaborateurs, on les a vus publiquement s'investir pour trouver la solution…
Il faut avoir le courage de reconnaître que les chefs religieux, je ne parle pas de tous les chefs religieux, mais la grande majorité sont des entrepreneurs politico financiers. Beaucoup d'entre eux utilisent l'Islam comme un fonds de commerce. Ça, nous le savons tous. Maintenant, il faut que les fidèles commencent à dénoncer ce genre de dérives-là. Les fidèles sénégalais, à cause de la «confrérisation» de l'Islam, on a un modèle tout à fait particulier. Vous allez dans les autres pays de la Umah islamique, les gens se comportent différemment face au message islamique et face à la foi tout simplement. Ça, c'est une question individuelle, on ne peut pas la laisser entre les mains d'un homme que l'on considère presque comme un Dieu. C'est grave. Il y a une confusion assez extraordinaire. Le peuple sénégalais est gravement touché sur cette question-là. Il faut que ça s’arrête. Il faut que ceux qui sont saints, que l'axe saint de ce pouvoir maraboutique prenne le relais, se lève comme un seul homme et dise : assez, c'est assez. Les marabouts doivent retourner dans les mosquées, prier, se mettre dans les actions caritatives comme le font les autres voies religieuses, veiller à une meilleure conscience des hommes et faire en sorte que l'aspect éthique liée à la religion puisse faire tâche d'huile dans la société pour le plus grand bien de tout le monde. C'est ça qu'on attend du pouvoir religieux, mais pas ces genres d'attitude où ils deviennent des sortes d'Etat dans l'Etat et où on les voit jouir de beaucoup de biens de ce monde. On a des chefs religieux qui ont 9 femmes, d'autres en ont beaucoup plus, on les voit dans des grands boubous bien amidonnés. Alors que les leaders originels qui ont créé ces confréries étaient beaucoup plus simples.
Il y a des dérives fondamentales et il est essentiel que la classe politique qui a une responsabilité dans ces dérives-là arrête. Quand ils ont un problème, ils vont se réfugier à Touba. Ils demandent une intervention ; quand ils cherchent le pouvoir politique, ils vont demander les prières du marabout. Les couches dominantes du pouvoir religieux comme du pouvoir économique, chacun y trouve son compte.

Pensez vous qu’avec l’affaire Modibo Diop, nous sommes dans la voie de la bonne gouvernance ?
Il y a le cas scandaleux de la Lonase. En fait, vous prenez tous les grands chantiers entre guillemet du chef de l'Etat, tous font l'objet véritablement de tensions de trésorerie qui sont liées à la mauvaise gestion ou à la corruption. Personne ne fait l'effort pour prévenir cela. L'ambassadeur des Etats-unis s'est ému de ça, le délégué de l'Union européenne. Donc, nous sommes en plein dans le règne de l'impunité. La bonne gouvernance n'est pas partie pour s'installer au Sénégal. En tout cas pas avec ce pouvoir. Et je serai réservé en ce qui concerne tout parti politique ou mouvement politique futur qui prendrait le pouvoir, s'il n'est pas en mesure de remettre en cause fondamentalement les paramètres en place.

Propos recueillis par
Bachir FOFANA et
Birane LO,
Ibrahima Niang (Photos)

dimanche 9 janvier 2011

MOMAR NDAO, PRÉSIDENT DE L'ASCOSEN : «Je ne peux pas, moi, signer un décret qui est contraire aux intérêts des associations de consommateurs»

Dans le second jet de l'entretien qu'il nous a accordé, le président de l'Ascosen est revenu sur le décret qui donne l'agrément aux associations consuméristes. C'est pour se défendre d'avoir fait signer «un décret qui est contraire aux intérêts des associations de consommateurs ». D'ailleurs, Momar Ndao annonce son retrait de l’Entente nationale des associations de consommateurs (Enac) après que celle-ci a décidé d’attaquer le décret sur les associations consuméristes.


Il y a un décret qui vous octroie l’agrément et vous permet de bénéficier de subventions de l’Etat. Comment en est-on arrivé là ?
Nous nous sommes battus depuis 1994 - quand il y a eu la loi 94-63 sur les prix, la concurrence et le contentieux économique, pour que l’Etat reconnaisse le travail de service public qui est fait par les associations de consommateurs et les assiste dans ce travail d’utilité publique. Aujourd’hui, l’Etat subventionne la presse, les syndicats… Nous pensons que, nous qui faisons un travail de service public devons être appuyés dans ce cadre-là par l’Etat comme cela se fait en France, au Etats-Unis, au Canada, en Côte d’Ivoire, au Bénin et au Burkina Faso qui subventionnent les associations de consommateurs. Depuis 1994, le décret était dans le circuit et nous n’avons pas pu avancer. Quand le nouveau ministre du Commerce est venu, puisque nous étions avec lui, depuis cette période en sa qualité de fonctionnaire du ministère, on a repris le flambeau de cette lutte et il a dit qu’il va réactiver le décret. Quand il nous a donné son accord, il a désigné l’Ascosen, donc en ma personne, et son ministère pour être les corédacteurs du projet de décret. C’est ainsi que j’ai participé à la rédaction du décret et nous nous sommes inspirés de ce qui se faisait déjà. Parce qu’il y avait un décret qui, depuis 1976, définissait les conditions d’octroi de la reconnaissance d’utilité publique aux associations ; c’est le décret n°76-199 du 17 février 1976 fixant les conditions d’octroi et de retrait de la reconnaissance d’utilité publique aux associations. Ce décret était un peu une base de travail pour nous parce que c’était le droit commun. Quand le projet de décret a été terminé, nous, associations consuméristes, avons eu une séance de travail avec le ministre du Commerce ; séance au cours de laquelle le projet de décret a été présenté par le ministre du Commerce. Et il n’y avait eu aucune réaction. D’ailleurs pour les taquiner, le ministre du Commerce a dit : «Ah bon ! Les nouveaux, vous n’avez rien à dire ? Notamment sur les deux ans minimum ?» Puisque dans le texte, on parle d’un délai de 2 ans qu’il faut attendre avant d’avoir l’agrément». Et là, les gens ont commencé à dire «est-ce qu’on ne ramener le délai à 6 mois». Et le ministre a proposé que le temps que le décret soit circularisé, s’il y a des observations, les gens peuvent venir les faire. Entre-temps, le ministre présente le décret au président de la République qui le signe immédiatement. Le ministre était tellement content qu’il nous a appelés (toutes les associations de consommateurs) pour nous présenter le décret signé par le président. Et quand nous sommes arrivés, tout le monde était là et certains présidents d’association étaient représentés, ils étaient tous contents de voir que le décret a été signé rapidement. Chacun d’entre-nous a pris la parole pour dire que nous étions très contents de voir qu’un combat qui date de 1994 a abouti. Et parmi les choses qui avaient été retenues lors de cette réunion, c’est que nous allions faire une lettre de remerciement au ministre du Commerce pour avoir réussi à faire passer ce décret qui depuis 1994 était dans le circuit, au Premier ministre le cosignataire et au Président de la République le signataire.


Mais que s’est-il passé pour que l’Enac décide d’attaquer le décret devant les juridictions ?
Mais quelque temps après, lors d’une autre réunion qu’on avait eue au ministère du Commerce, Me Massokhna Kane de Sos Consommateurs dit qu’il voulait nous entretenir du décret, que lui n’est pas d’accord parce qu’il y a des pièges. D’abord, nous avons dénoncé le fait que son représentant ait approuvé comme tout le monde lors de la présentation du décret par le ministre et que lui remettait en cause, son représentant en prenant son contrepied. Nous lui avons aussi demandé de nous citer les pièges, mais il n’a pas pu le dire. Nous lui avons demandé de faire un papier dans lequel il nous liste les pièges qu’il y a dans le décret. Il fait le papier, mais dès qu’il a fini de le faire, il nous l’envoie, mais le balance dans la presse en même temps alors que nous sommes dans une organisation qui s’appelle l’Enac. Ce qui était déjà très gauche. Et dans ce papier, il n’y avait que sa vision qui n’était pas encore discutée. D’ailleurs, il m’interpellait dans ce papier. Moi, j’étais à l’aéroport, c’est de là-bas que j’ai vu sur mon mail le papier et j’ai répondu point par point aux interpellations qu’il avait données. Interpellations qui étaient d’ailleurs toutes erronées à 99% parce qu’il disait des choses qui n’étaient pas dites dans le décret.
Donc, en mon absence, il y a eu une réunion au cours de laquelle les associations de consommateurs présentes, (comme il y en a plein qui ont été créées il y a moins de deux ans, qui étaient un peu gênées parce qu’elles souhaitaient accéder à la subvention tout de suite alors que le décret demandait au minimum deux ans), elles ont suivi Massokhna Kane pour dire qu’elles vont attaquer le décret en annulation.
Mais dans le cadre d’une subvention, il faut ce délai pour que l’on sache si l’association va dans le sens qu’elle a déclaré etc., et ça c’est le droit commun, même en France, ce délai est de trois ans. Donc, ces associations qui ont moins de deux ans ont été manipulées par Massokhna Kane et elles ont dit qu’elles vont attaquer le décret. Or, ces mêmes associations, y compris Sos consommateurs, quand le décret a été signé, étaient toutes d’accord pour qu’on envoie une lettre de remerciement au ministre du Commerce, au Premier ministre et au président de la République. Il n’y avait pas eu une seule abstention par rapport aux décisions qui avaient été prises devant le ministre du Commerce. Et après cela, on sort et on livre dans la presse que le décret va être attaqué.

C’est paradoxal, ce que vous dites.
Justement ! Parce que les associations de consommateurs étaient parties prenantes dans la conception du décret en question parce que c’est moi-même qui les représentais là-bas. Je ne peux pas moi signer un décret qui est contraire aux intérêts des associations de consommateurs. Le seul problème qui se pose dans ce décret-là, et qui a été un peu à la base de cette manipulation de ces associations, c’est le délai de deux ans.

Alors pourquoi avoir mis ce délai de deux ans ?
Si vous dites que toute association qui est créée aujourd’hui peut être agréée aujourd’hui et recevoir des subventions aujourd’hui, vous allez voir la création de 1000 associations de consommateurs. Et en ce moment, on ne verra pas celles qui se sont engagées pour défendre les associations de consommateurs, mais on verra celles qui se sont engagées pour l’argent. Ce qui, à mon avis, est impensable. Même en France, il faut attendre trois ans pour bénéficier de la subvention. Et en plus, nous nous sommes inspirés du décret de 1976 qui octroie la reconnaissance d’utilité publique aux associations et qui représente à notre avis le droit commun et qui prescrit 2 ans de délai. En tant que responsable, en tant que cosignataire du décret, je ne pense pas qu’il soit raisonnable qu’on sorte pour dire qu’on va aller attaquer ce décret devant la Cour suprême, parce que notre association n’a pas deux ans ou que l’on ne pourra pas remplir les conditions exigées qui sont allégées au strict minimum.

Et quelles conséquences en tirez-vous après la décision de l’Enac ?
Nous avons décidé de quitter l’Enac pour plusieurs raisons. J’ai l’impression que nous n’avons pas les mêmes objectifs. Parce que si on avait les mêmes objectifs qui étaient de défendre les consommateurs…
Nous, on a travaillé 21 ans sans aucune assistance, sans aucune aide de l’Etat, pourtant, on a continué de travailler. Cette subvention, elle n’est même pas encore là parce que le décret, c’est un agrément qui permet aux associations de pouvoir saisir de manière officielle la Commission de la concurrence. C’est une habilitation à pouvoir saisir la Commission de la concurrence en application des dispositions de l’article 10 de la Loi 94-63 qui dit que les associations agréées peuvent saisir la Commission. L’autre aspect, c’est que cela permet aux associations de pouvoir requérir une assistance de l’Etat par rapport aux subventions. Cela ne veut pas dire que lorsque l’association est agréée, la subvention va automatiquement tomber. Non ! Il y a une procédure à suivre pour obtenir cette subvention.
De toutes les façons, nous pensons que si les associations de consommateurs ont pour objectif de défendre les consommateurs, la problématique de la subvention est secondaire. Si nous voyons aujourd’hui que des gens sont prêts à attaquer un décret, tout simplement pensant que ce décret est contre eux parce que n’ayant pas deux ans, je pense que la philosophie même du consumérisme est remise en cause.
Donc, nous, on ne peut pas continuer de travailler dans ces conditions-là.

Mais avez-vous fait ce décret pour écarter certaines associations de consommateurs ?
Certaines associations nouvelles, disent que moi, Momar Ndao, représentant les associations de consommateurs à la rédaction du décret, j’ai délibérément écarté les nouvelles, en mettant un délai de deux ans, puisque notre organisation est ancienne, je pense que ce n’est pas la réalité. Car, nous nous sommes inspiré du décret n°76-199 du 17 février 1976 fixant les conditions d’octroi et de retrait de la reconnaissance d’utilité publique aux associations et qui fixe le délai à 2 ans. Au contraire, j’ai toujours dit, dans chacune de mes interventions, que chacun peut créer une association de consommateurs, que nous sommes ouverts pour que tout le monde en crée. Parce que créer une association de consommateurs est très facile, mais l’entretenir, développer des arguments, travailler et avoir l’adhésion des populations, c’est cela le problème. Aujourd’hui, les gens, ils ne vont pas écouter n’importe qui, il faut que vous fassiez vos preuves. Si aujourd’hui on se regroupe et que les associations nouvellement créées soient majoritaires, elles vont voter des décisions que, forcément nous ne partageons pas. Et cette décision d’ester en justice, nous ne le partageons pas. Et une fois qu’elles ont pris cette décision, qui a été portée la presse, elles ont dit «non, on a été induites en erreur».

Ne pas partager la décision d’ester en justice contre le décret est-il un motif assez suffisant pour claquer la porte de l’Enac ?
Si des associations créées il n’y a pas un an, du fait de leur nombre, veulent semer la zizanie, ça, nous ne l’accepterons pas. Je ne peux pas travailler avec des gens qui prennent une décision aujourd’hui et demain prennent une autre. Nous, on a tout fait pour que les gens se regroupent etc., mais je pense qu’on ne peut pas continuer de travailler comme ça.

L’on vous accusera de casser la dynamique unitaire des associations consuméristes…
Oui, nous le savons. Mais il ne faut pas oublier que depuis 1993, nous avons pris des initiatives de regroupement des associations consuméristes. Nous avons créé la Fédération des consommateurs et défenseurs de l’environnement (Féconde), il y a eu des difficultés et l’on a laissé tomber. Il y a eu le Conseil national des associations de consommateurs (Conac) et il y a eu l’Entente nationale des associations de consommateurs (Enac). Même l’Enac, c’est une initiative que nous avions prise avec l’Uncs (Union nationale des consommateurs du Sénégal). Au début, il y avait des associations qui n’étaient pas d’accord et finalement on a pu, avec l’entregent de Jean-Pierre Dieng qui s’est beaucoup battu pour que les associations se retrouvent, remettre l’Enac. Il y a eu des difficultés, mais nous avons essayé de les surpasser pour pouvoir avoir la commune volonté de défendre les associations de consommateurs. Mais il faut le reconnaître quand même, c’est assez difficile parce que parfois les motivations ne sont pas pareilles. Parfois, il y a des motivations politiques et quand il y a une motivation politique alors que nous, nous ne sommes pas des politiciens, nous ne sommes pas des acteurs politiques, nous pensons que nous devons avoir une démarche scientifique et non politique. Alors quand parfois, il y a des démarches politiques, cela nous pose problème. Quand parfois il y a des démarches qui ne nous agréent pas, tant que cela ne décrédibilise pas le mouvement, on peut fermer les yeux. Mais des associations responsables qui prennent des engagements et qui ressortent pour dire qu’ils vont aller en justice contre ces mêmes engagements qu’elles avaient pris et qui ont été pris par des plénipotentiaires, nous pensons que cela ne fait pas sérieux. Vraiment, nous les gens nous connaissent pour nous être battus selon une certaine ligne qu’on veut préserver. Nous respectons, maintenant, les choix et les orientations des autres. Ce qui est important pour nous, c’est que les Sénégalais nous connaissent, cela fait 21 ans que nous travaillons, nous nous sommes tracés une certaine ligne, et nous voulons rester dans cette ligne. Cette ligne, c’est de défendre l’intérêt des consommateurs, c’est cela notre motivation principale. Les subventions, si cela vient, c’est bien, et si cela ne vient pas, on continue de travailler. Le jour où l’on ne sera plus convaincu de cette lutte, on laissera tomber, mais on ne trichera pas.

Est-il envisageable que l’Ascosen crée un autre groupement ?
Si parmi les associations qui sont là, il y en a qui souhaitent travailler d’une manière saine, oui, on pourrait se retrouver dans un autre cadre plus serein, mais avec des règles bien établies. Parce qu’aujourd’hui, nous n’avons pas de règles au sein de l’Enac. Il n’y a pas de règles d’éthique, il n’y a pas de règlement intérieur. Ce qui fait que c’est très difficile d’obliger quelqu’un à rester dans un créneau qui n’est pas dessiné. Ce qui me fait dire que si on doit mettre en place une structure, il faudrait que l’on se mette d’accord sur comment on va travailler, et devant chaque situation, quelle est la démarche à adopter. Mais aujourd’hui, c’est jusqu’à présent un peu informel et c’est pourquoi nous avons décidé de quitter l’Enac.
Propos recueillis par Bachir FOFANA
Parus dans l’édition Mercredi 5 Janvier 2011 du journal «Le Populaire»

mardi 4 janvier 2011

Bara Tall comme Mittal

Les bizarreries judiciaires de l’affaire dite des chantiers de Thiès rappellent les célèbres procès de Moscou. Les procès de Moscou sont tristement célèbres. Ils étaient des chefs-d’œuvre en matière d’instrumentalisation du droit pour régler les conflits internes au sein de l’oligarchie soviétique. Personne ne prenait au sérieux les juges de Moscou. Qui prend aujourd’hui au sérieux les juges au Sénégal après l’histoire des négociations entre Wade et son ancien Premier Ministre, après l’affaire Djiby Ndiaye. C’est dramatique pour notre vielle démocratie.
Autant on peut comprendre le zèle de la police (la police est toujours celle d’un Etat, pour ne pas dire d’un régime), autant la docilité des juges devant les politiques est inquiétante. La police agit au nom et pour le compte de l’Etat alors que la justice est rendue au nom du peuple sénégalais. Et il est évident que les Sénégalais ne cautionnent pas cette justice utilisée comme bras armé de l’exécutif. Il est peut-être temps de s’arrêter. S’arrêter de temps en temps est la meilleure façon de prouver le mouvement. Le Sénégal est un mouvement frénétique depuis l’Alternance. S’arrêter permettrait de constater que c’est un mouvement qui sape les fondements de l’Etat. Il y a aujourd’hui une suspicion légitime sur la justice, une méfiance à l’égard de la police. Et, la Justice et la police sont parmi les piliers les plus importants de l’Etat de Droit, car incarnant le caractère impersonnel de la loi. En Israël, la police et la Justice en poursuivant le chef de l’Etat pour harcèlement sexuel et viol viennent de donner une leçon au monde en matière d’Etat de Droit en rappelant que nul n’est au dessus des lois, même le chef de l’Etat. Si le chef de l’Etat peut être poursuivi, aucun citoyen ne saurait mettre en cause les décisions ou l’impartialité de la justice. C’est pourquoi dans un Etat de droit la justice est la gardienne du temple contre toutes les dérives, surtout celles politiques. Les juges ne sont pas élus, mais ils ont une légitimité aussi forte que ceux qui le sont car ils doivent être les gardiens des vertus de la République dont la plus importante est de faire accepter par sa sérénité et son indépendance que nul n’est aussi dessus des lois mais aussi et surtout qu’un contrat de croupier avec un pouvoir en place est une ignominie.
Cette ignominie va avoir beaucoup de dégâts collatéraux surtout sur le plan économique. Quel investisseur sérieux prendra le risque de venir au Sénégal où un entrepreneur des BTP peut être jeté en prison non pas parce qu’il n’a pas respecté son cahier de charge mais pour atteindre et éliminer un rival politique gênant. Bara Tall aurait dû être célébre comme notre Rockfeller national pour avoir prouvé que l’expertise nationale est dans le benchmark international. La succes story de son entreprise a plus contribué à décoloniser mentalement les Sénégalais que tous les discours politiques. Un Sénégalais qui tient la dragée haute aux grandes entreprises françaises, contribuant ainsi à casser la mainmise des français sur notre économie est un héros. Un héros, on le célèbre, on ne le met pas en prison pour des raisons plus que douteuses. Cette immixtion permanente du politique qui étale ses tentacules dans la justice, dans l’économie, explique le fait qu’on ait peu d’investisseurs sérieux mais beaucoup d’aventuriers qui relèvent de l’ère coloniale au Sénégal. On aurait dû se glorifier de Bara Tall comme l’Inde le fait avec Mittal qui a racheté Arcelor. C’est là toute la différence. Les élites indiennes ont un orgueil national, les nôtres, surtout celles politiques, ne l’ont pas. Pire, ils sont encore dans le complexe colonial. Complexe colonial que nos élites économiques n’ont pas. Bara Tall a racheté Jean Lefébvre, Serigne Mboup est un pilier de Samsug pour l’Afrique. Le potentiel est là, mais ceux qui doivent indiquer la voie (les politiques) ont perdu le nord ou plutôt le situe au niveau de leur nombril.

Yoro DIA (texte paru dans beaucoup de quotidiens en novembre 2006 quand Bara Tall était en prison)

DISCOURS DE NOUVEL AN DU PRÉSIDENT WADE: Le Sénégal et le seuil de la pauvreté


Dans son traditionnel discours de nouvel An, prononcé le 31 décembre 2010, le Président Abdoulaye Wade a déclaré que le Sénégal était sur la bonne voie du point de vue économique, puisque, selon lui, «(il a fait) passer le revenu par tête de moins de 500 dollars, le seuil de pauvreté, avant 2000, à 1350 dollars en 2010». Poursuivant son allocation, il a ajouté que, «chiffres en main, le Sénégal a franchi le seuil de la pauvreté ; il a réussi à se hisser la tête hors de l’eau !» et que «les développements positifs cumulés ou enregistrés en 2010 nous placent sous de meilleurs auspices pour l’année 2011».
Cette déclaration mérite d’être nuancée, pour éviter d’affecter au pays un niveau de performances économiques qu’il n’a pas réalisé. En vérité, le Sénégal, malgré de réels progrès, n’est pas encore devenu un pays émergent .
Il est vrai que le pays a enclenché une dynamique de croissance économique honorable depuis 1995, oscillant dans un sillage légèrement supérieur à 4% par an en moyenne et gagnant ainsi année après année quelques petits points précieux dans la réduction de la misère . Ainsi, le taux de pauvreté de la population est passé de 67,9% en 1994/95 à 57,1% en 2001-2002 (soit une baisse de près de onze points de pourcentage en sept ans), puis à 50,7% en 2009 . Soit une baisse de 6,4 points de pourcentage seulement en huit ans. En d’autres termes, le Sénégal a été plus performant entre 1995-2000 qu’entre 2001 et 2009 en termes de réduction de la pauvreté. Le ralentissement de la dynamique de la réduction de la pauvreté dans la décennie 2000 s’explique par les difficultés constatées depuis 2006, le taux de croissance économique moyen n’ayant été, selon les données de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (Ansd), que de 3,15% entre 2006 et 2009, soit à un niveau très proche du taux de croissance démographique. Depuis près de quatre ans, le pays stagne donc dans sa lutte contre la pauvreté. Cette situation quelque peu morose est en déphasage avec le ton euphorique du chef de l’Etat.
Par ailleurs, le Président Wade a indiqué que le pays aurait presque triplé son Pib par tête en dix ans, le faisant passer de 500 dollars à 1350 dollars, sans préciser la source des données et la méthode de calcul retenue. Dans la base de données de la Banque mondiale, qui se fonde sur des normes comparables entre pays, le Pib par tête du Sénégal, en dollars constants, est de 534 $ en 2009 contre 474 $ en 2000 ; soit une augmentation de 13.2%. En dollars courants, il est de 1023 $ en 2009 contre 474 dollars en 2000, soit une hausse de 91.5%, en incluant l’effet des prix .
Si on retient cette dernière méthode, le Sénégal a affectivement dépassé, depuis 2007, le seuil mythique de 900 dollars utilisé par les Nations-Unies comme un des critères pour radier un pays de la liste des Pays les moins avancés (Pma). Les autres critères étant relatifs au capital humain et à la vulnérabilité économique.
C’est ce que voulait sans doute dire le Président Wade lorsqu’il a affirmé que le pays avait franchi «le seuil de la pauvreté». Le Sénégal continuera malgré tout d’être classé, encore pour quelques années, parmi les quarante-neuf Pma du monde. Et la sortie de cette catégorie de pays pauvres présentera à la fois des avantages (pour l’accès aux marches de capitaux internationaux) et des inconvénients (la perte de certains avantages commerciaux par exemple) pour lui. Pour y arriver, le pays devra, selon les Nations-Unies, «atteindre les seuils prévus pour deux des trois critères dans deux examens triennaux consécutifs effectués par le Comité des politiques de développement (Cdp)». C’est ce que le Cap-Vert a récemment réussi.

Moubarack LO
Ingénieur statisticien économiste (Ensae-Cesd, Insee, Paris)
Président de l’Institut Emergence
Email : moubaracklo@gmail.com

MOMAR NDAO, MEMBRE DU COMITÉ DE RELANCE ET DE RESTRUCTURATION DU SECTEUR DE L’ÉNERGIE : «Il faut près de 1000 milliards de francs Cfa pour régler définitivement le problème des délestages et de l’énergie»

«Il faut que les Sénégalais comprennent que pour l’électricité, il n’y a pas de solution définitive d’ici 2015»
«Il faut près de 1000 milliards de francs Cfa pour régler définitivement le problème des délestages et de l’énergie»
«Les Sénégalais peuvent marcher tous les jours, mais le courant ne viendra pas»
«Le président Wade a donné à son fils un colis piégé»

«Depuis 2000, le taux d’augmentation cumulée du prix de l’électricité est de 49%»


Le président de l’Association des consommateurs sénégalais (Ascosen) rompt le silence sur son travail dans le Comité de relance et de restructuration du secteur de l’énergie, mis en place par le ministre d’Etat Karim Wade. C’est pour avertir, dans l’entretien qu’il nous accordé hier, de la situation «extrêmement grave» du secteur de l’énergie, qui a besoin de «1000 milliards de francs Cfa pour régler définitivement tous les problèmes du secteur de l’énergie». Toutes choses qui font que Momar Ndao soutient que «les Sénégalais peuvent marcher tous les jours, mais le courant ne viendra pas» tant que la centrale au charbon n’est pas fonctionnelle. Et celle-ci est attendue «d’ici à 2015». Ce qui lui fait dire que «le président Wade a donné à son fils un colis piégé». Le président de l’Ascosen est également revenu sur le départ du Comité de l’imam Sarr qui «a été attaqué d’une manière assez incompréhensible».


Il y a beaucoup de hausses de prix de denrées et mis à part quelques déclarations, l’on ne sent pas les associations consuméristes. Pourquoi ?
C’est vrai que nous Ascosen, nous nous sommes prononcés dessus sur les hausses que nous avons dénoncées. Mais moi, personnellement, j’étais absent du territoire deux fois depuis la Tabaski. Ce qui fait que beaucoup de choses se sont déroulées en mon absence et ce sont les autres membres de l’Ascosen qui ont eu à se prononcer. Mais il faut savoir que la défense des consommateurs peut se faire en amont comme en aval. En amont, aujourd’hui, nous sommes dans ce qu’on appelle le Comité de relance et de restructuration du secteur de l’énergie pour trouver des solutions à la problématique de l’électricité qui fait défaut. On peut donc participer à une réflexion comme on peut se mettre de l’autre côté, et c’est la partie la plus facile, critiquer et jeter des pierres pour dire «Nous exigeons des solutions immédiates». Donc, nous, nous n’avons pas qu’une démarche revendicative, nous avons aussi une démarche de recherche et de propositions. Voilà pourquoi nous avons participé à ce Comité.

Et qu’avez-vous découvert dans ce Comité ?
Cela fait un mois que nous travaillons et nous travaillons lundi, mercredi et samedi, de 17h à 21h. Nous avons auditionné la Senelec, la Société africaine de raffinage (SAR), le Comité national des hydrocarbures (CNH), les groupements professionnels du pétrole (GPP, ASPP, etc.), les producteurs privé d’électricité (Kounoune Power), les groupements professionnels du gaz, la Commission de régulation du secteur de l’électricité (Crse), l’ASER (L’agence sénégalaise d’électrification rurale), les ministères en charge de l’énergie, les cabinets d’audit (Mac Kinsey coordinateur des audits, Black pearl finance, pour la restructuration financière) le GTAH (Groupe technique ad hoc, chargé de la réforme institutionnelle de Senelec), les syndicats de l’électricité et du gaz, etc. pour faire des propositions concrètes de sortie définitive de crise.
Malheureusement, on n’a pas communiqué sur le travail que nous sommes en train de faire. Donc, au lieu de faire des marches qui ne règlent rien, si on vous dit qu’il faut trouver des solutions et qu’il faut apporter quelque chose pour trouver cette solution qui va permettre de régler définitivement le problème, je pense qu’il faut venir et faire des propositions concrètes. Et même si on n’a pas de propositions concrètes à faire, il faut venir au moins pour savoir où est-ce qu’on va.

Et où est-ce qu’on va d’ailleurs ?
Là où on va, c’est extrêmement grave. Les gens ne se rendent pas compte, mais on n’est pas encore sorti de l’obscurité. Parce que d’après les premiers éléments que nous avons, il n’y aura pas de solution au problème des délestages tant qu’on n’aura pas la centrale de charbon qui est attendue au plus tôt en 2014 si tout se passe bien. Donc on risque de n’avoir un équilibre qu’en 2015. Cela veut dire que d’ici 2015, les Sénégalais ne peuvent pas dire qu’ils vont voir le bout du tunnel. Donc, il faut que les Sénégalais comprennent que pour l’électricité, il n’y a pas de solution d’ici 2015. Tout ce qu’il va y avoir, ce sont des colmatages. Il va y avoir une approche d’urgence qui va permettre de pouvoir faire face au déficit de production, mais il y a plusieurs problèmes qui se posent.

Lesquels ?
Il y a le problème de l’approvisionnement en combustibles qui se pose. Tant qu’on n’a pas réglé ce problème-là qui pose des problèmes de contrat, des problèmes financiers, on n’aura pas de combustible, même si les machines sont disponibles. L’autre problème fondamental, c’est que la disponibilité des machines de Senelec… Entre ce qui est installé et ce qui est disponible ; entre ce qui est disponible, ce qui est envoyé et ce qui est réellement reçu ; entre ce qui est réellement reçu et ce qui est réellement payé, il y a un gap comme ça (il écarte grand ses bras).

Avec ce diagnostic, à combien s’élève les montants nécessaires pour venir à bout des délestages ?
Aujourd’hui, les premières estimations nous disent qu’il nous faut 1000 milliards de francs Cfa pour régler définitivement le problème de l’énergie dont environ 1 million à 1 million 500 mille dollars pour l’électricité soit près de 800 milliards pour l’électricité. Donc, on ne peut pas encore facilement régler le problème.

Et que faut-il faire ?
Ce qu’il faudrait faire, même en prenant des mesures d’urgence, elles vont impacter sur la gestion de l’entreprise. Je donne un exemple : supposons que vous n’avez pas de courant parce qu’une machine est en panne. Vous dites : en attendant que je répare cette machine, je vais louer une autre machine. Mais la location de cette machine impactera négativement, parce qu’elle n’est pas rentable car elle coûte trop cher. Donc, quand vous louez une machine, vous allez la payer plus cher, vous allez avoir du courant mais vous allez diminuer vos capacités financières. Et quand vous aurez fini de réparer cette machine, vous n’aurez plus assez d’argent pour acheter du combustible. Senelec, c’est un peu le serpent qui se mord la queue. Aujourd’hui, Senelec, c’est une entreprise qui aurait du être fermée si c’était une entreprise privée. Mais compte tenu du fait qu’elle ne peut pas être fermée, il faut qu’elle soit perfusée, il faut qu’elle soit remise en état. Parce que le nombre de machines qui est en panne, les sommes d’argent qu’il faudrait mettre pour pouvoir rééquilibrer ne sont pas disponibles.
Aujourd’hui certaines estimations parlent d’une perte de 55 à 59 milliards de francs pour 2010 pour Senelec alors qu’elle disait avoir fait un bénéfice de 6 milliards en 2009 !

C’est un discours qui sera difficile à entendre chez les Sénégalais qui commencent déjà à exprimer leur mécontentement face au manque de courant…
Il ne peut pas y avoir d’électricité parce qu’il y a des problèmes fondamentaux qu’on n’a pas réglés. L’électricité ne pourra pas revenir tout de suite tant qu’on n’aura pas réglé le problème de l’approvisionnement et de la production. Ils peuvent marcher tous les jours et ils en ont le droit, car quand on paye un service, il doit être fournit, mais le courant ne viendra pas tant que Senelec n’aura pas les moyens financiers pour le faire. Et aujourd’hui, il manque vraiment de moyens financiers pour pouvoir faire face à cela.

Ce n’est pas alors une question d’hommes ?
Pas du tout ! On peut changer tous les hommes qu’on veut, si on n’a pas les moyens financiers pour régler le problème, ça ne va pas passer. Par exemple, il y a un privé qui doit faire la centrale au charbon. Si ce projet était venu avec les 125 mégawatts, on aurait pu équilibrer un peu la problématique de la demande. Mais le problème de fond de Senelec, c’est qu’à côté de ce besoin de financement, il y a le management de la production.

Soyez plus explicite
Ce qui se passe, c’est que si vous achetez une machine neuve qui vous donne 60 Mw, mais que vous ne l’entretenez pas, vous n’aurait plus 60 Mw, vous aurez 40 Mw. Donc vous allez toujours avoir ce déficit de 20 Mw. Si vous prenez des dispositions pour produire avec les turbines à gaz, elles vont consommer deux fois plus de combustible pour produire la même quantité d’énergie. Donc, vous allez produire à perte pour pouvoir donner du courant. Et comme vous produisez à perte, si vous avez mis de l’argent à côté, cet argent va finir et il va falloir vous trouver de l’argent. Et pour trouver cet argent, vous allez soit emprunter, soit être subventionné par l’Etat, soit augmenter le prix de l’électricité pour que le consommateur supporte ce besoin d’argent. Imaginez-vous que depuis 2000, le taux d’augmentation cumulée du prix de l’électricité est de 49%. Donc on ne peut pas continuer à augmenter les tarifs, il arrivera un moment où les gens ne pourront plus payer et l’on sera toujours au même point. C’est la raison pour laquelle je disais que nous consommateurs, nous ne devons pas payer l’incompétence de la Senelec à maintenir ses machines, et à équilibrer son exploitation, notamment par une maîtrise de ses charges. Dans certains pays, le taux de disponibilité des machines est de 98%, au Sénégal, nous sommes à 69%.

Le taux de maintenance des machines par les visites programmées qui était de 53% en 2007 est passé à 25% en 2010 !
L’énergie non fournie selon Senelec est de 90 GWh d’autres l’estiment à plus de 124 GWh. Mais cela représente au moins plus de 10 milliards de perdus chaque année !

Outre le problème d’argent et le management de la production, qu’avez-vous découvert ?
Nous avons découvert qu’il y a des choses que la Senelec aurait dû acheter par exemple à 100 francs, mais les achète 4 fois plus cher. Donc, il n’y a pas une maîtrise des coûts, même si on achète de nouvelles machines, on restera toujours dans le même cycle parce qu’on va toujours produire à perte, de manière déficitaire. Et ce déficit, il continue. Certains premiers éléments que nous avons nous disent que le déficit, du au retard sur la centrale à charbon, c’est 300 mille dollars par jour soit 150 millions de francs par jour !

Dans ce cas, Karim Wade n’est pas le messie attendu pour régler le problème ?
Le président Wade a donné à son fils un colis piégé parce qu’il n’y pas de solution immédiate.

Pourtant, le président Wade dit qu’il a mis son fils à l’Energie parce qu’il est capable de régler le problème.
Il le pense, mais la réalité, c’est qu’on ne peut pas le régler tout de suite. C'est-à-dire que tout ce que cela demande, il y a tellement de problèmes, cela peut se régler, mais il faut du temps. Donc aujourd’hui, tout discours qui dira qu’on va régler la question de la fourniture d’électricité dans un court délai, c’est un discours de politicien. C’est d’ailleurs pourquoi, le Président dans son adresse du 31 décembre, n’a pas donné une date précise pour le règlement du problème. Mais en réalité, on ne peut pas le régler tant qu’on n’aura pas suffisamment de production à des coûts inférieurs aux coûts de vente de l’électricité. Aujourd’hui, Senelec a des couts moyens de production qui sont à 148 F le kWh alors que les tarifs sont en moyenne à 115 F le kWh environ.

Que faire après les auditions ?
Nous allons terminer l’audition des acteurs du secteur et étudier les conclusions des cabinets d’audit. Après avoir parcouru tous les documents produits dans le secteur et les rapports d’audit qui ont été faits par les différents cabinets, c’est riche de tous ces éléments-là que nous allons faire adopter une proposition de sortie de crise qui va être en deux phases : une proposition de plan d’urgence et puis des mesures relance et de restructuration. Parce que, telles que les choses se présentent, il n’y pas de possibilités de s’en sortir dans l’immédiat. Il faut qu’on change tout. Mais l’une des décisions fortes à prendre, c’est de dire aux Sénégalais quelle est la situation. Parce que tant qu’on va dire «les délestages, on va les régler bientôt», ce sera toujours du colmatage et quand viendra la saison des pluies avec la chaleur, le problème restera entier. Même si ce sont des mesures draconiennes à prendre, il faudra informer les populations et il faudra absolument qu’on prenne des décisions très dures comme arrêter certaines machines pour les entretiens. Parce que pendant longtemps, les Directeurs de Senelec, et les autorités politiques, n’ont pas voulu arrêter les machines pour les entretenir, à cause des protestations des consommateurs. Or, l’entretien de routine peut coûter, par exemple, cinq (5) millions… Et si on laisse la machine fonctionner jusqu’à ce qu’elle se casse, sa réparation va coûter des centaines de millions ! Ce qui est irrationnel comme démarche.

Mais la situation que vous décrivez, on ne peut quand même pas dire qu’elle est nouvelle…
C'est-à-dire que les gens ne savaient pas la gravité de la situation. Beaucoup de gens se disaient qu’il y a des problèmes à la Senelec, mais… Si on vous dit qu’il faut près de 1000 milliards de francs Cfa pour régler définitivement les problèmes du secteur dont près de 600 à 800 milliards rien que pour l’électricité, qu’avec le retard de la mise en œuvre de la centrale à charbon, c’est 150 millions de F de pertes par jour, que rien que les dettes financières de Senelec sont de 143 milliards sans compter les dettes fiscales et autres, que si on ne fait rien en 2013 l’énergie non distribuée serait de 53% soit plus de la moitié de la production de Senelec et que le déficit de production serait de 200 MW, alors que rien qu’à 100 MW de déficit, on a des délestages de plusieurs heures qui entrainent des émeutes… Je ne sais pas si les gens s’imaginent combien la situation est grave !
Et cela a pu être vu plus facilement parce que, dans le Comité, on a pris plusieurs acteurs du secteur de l’énergie qui n’ont jamais travaillé ensemble sans compter les conclusions des cabinets d’audit.
Si on prend des anciens directeurs de Senelec, des membres de la Commission de régulation du secteur de l’électricité, du Comité national des hydrocarbures, des acteurs du secteur des hydrocarbures (SAR, Majors, distributeurs de gaz), des banquiers, des agents des ministères concernés, de Senelec, du secteur privé, des consommateurs, des syndicats de l’électricité et du gaz, de l’assemblée nationale et du Sénat… ces gens n’ont jamais été mis dans un même cadre pour essayer de trouver une solution à la question de l’énergie. C’est cela qui est novateur.
C’est ce que je disais au Comité. La plupart des membres du Comité, ce sont eux qui ont plongé la Senelec dans la situation d’aujourd’hui, parce que c’étaient eux les acteurs du secteur (notamment les anciens DG, et autres ex agents de Senelec et des ministères en charge de l’énergie). Mais n’ayant pas travaillé ensemble, n’ayant pas été mis dans le même lot que ceux qui gèrent les hydrocarbures, ils n’ont pas pu bénéficier de la situation de contradiction positive que crée le comité. Donc le fait d’avoir mis tous ces acteurs face à face, chacun à son poste d’observation et qu’on puisse faire la synthèse, c’est cela qui a permis de voir des choses qu’on aurait jamais dû voir parce que chacun est dans son coin en train de travailler. Et c’est cela le mérite du Comité.

Et pourtant, l’imam Sarr a quitté ce Comité…
Je pense que le départ de l’imam Sarr… c’est vraiment dommage. Malheureusement, comme nous n’avons pas communiqué par rapport au travail du Comité, beaucoup de gens pensent que le Comité est là pour faire des discours et les gens ne savent pas ce que nous faisons réellement, ils n’ont aucune idée de l’importance du Comité. Ce qui fait que beaucoup de gens ont même critiqué ce que faisait l’imam Youssoupha Sarr un peu à tort. J’ai été très peiné de voir l’imam Sarr dans cette situation parce que, malheureusement, il a beau expliquer, il y a des gens qui seront contre Karim Wade quel que soit alpha et qui n’écouteront pas une personne qui semble être dans une situation d’appuyer Karim Wade. Je pense que l’imam Sarr a été attaqué d’une manière assez incompréhensible mais aussi assez compréhensible aussi parce que les gens ont l’impression que le pays est en train de flamber et qu’ils ne l’entendent pas. Or, il a une autre démarche, c’est de dire que je vais participer à la résolution des problèmes. Mais, c’est normal que des gens qui ne savent pas ce qu’il faisait dans le Comité disent : «Il est dans le Comité de Karim Wade ». Non, il n’est pas dans le Comité de Karim Wade, il est dans un Comité de l’Etat du Sénégal, mis en place par le gouvernement, par un ministère. C’est un Comité qui a pour rôle de répondre à un problème national. C’est vrai qu’il y a des gens qui ont une approche politique du problème de l’énergie, mais si on ne le règle pas, c’est tout le pays qui en pâtit. Ce n’est pas une question d’élection, ni de parti politique. Aujourd’hui, c’est vrai qui si on ne le règle pas, le parti au pouvoir aura des problèmes, mais même celui qui va venir après aura davantage de problèmes. C’est vraiment regrettable que l’Imam Sarr soit parti du Comité. Lui-même le regrette beaucoup, mais il était contraint.

Et pourquoi le Comité n’a pas insisté pour le retenir ?
Nous tous, nous avons été un peu gênés parce qu’on comprenait sa situation. Il a beau expliquer ce qu’il est en train de faire dans le Comité, mais comme le Comité lui-même n’a rien dit, les gens avaient l’impression qu’il était en train de se justifier. Malheureusement, le Comité ne l’a pas soutenu dans son combat d’explication. Parce que les Sénégalais sont intelligents, s’ils ont une claire explication de ce qui se passe, ils peuvent comprendre si on leur explique. Mais tel n’était pas le cas.

Mais c’est quand même paradoxal que le Comité se terre dans son coin et ne dise rien de ses activités…
Effectivement. Je dois même vous avouer qu’on a eu un débat en interne sur cette question. J’avais dit qu’il fallait qu’on dise la méthodologie du Comité, le calendrier de travail, les auditions programmées, où nous devons aller. Bon, c’est un peu trop tard. Mais ce n’est pas grave, on peut toujours se rattraper.


(A suivre)
Entretien paru dans l'édition du 4 Janvier 2011 du quotidien Le Populaire