mercredi 18 mai 2011

Un plan Takkal sur fond de réglementation corruptogène

«Dans une conjoncture internationale marquée par un prix du baril de pétrole en augmentation, le chef de l’Etat a instruit le gouvernement de promouvoir tous les moyens permettant d’avoir une rationalisation plus effective de la consommation énergétique au plan national et de sensibiliser les populations sur les contraintes auxquelles sont actuellement exposés les pays non producteurs de pétrole». Il s’agit là d’un extrait du Conseil des ministres du 14 avril 2011 qui semble retracer des arguments faciles sur les difficultés que le gouvernement a à trouver une solution à la fourniture de l’électricité aux populations. La rationalisation évoquée dans cet extrait doit également être l’œuvre des autorités chargées de gérer le secteur de l’énergie en général et en particulier celui de l’électricité. Six cent cinquante milliards de francs CFA (650 000 000 000 F Cfa), nous dit-on, ce serait le montant nécessaire pour financer le plan Takkal. La rationalisation doit d’abord commencer par la transparence sur les sources de financement avec les coupes budgétaires nébuleuses du gouvernement qui touchent des dépenses sociales et privent en même temps de parts des marchés les Petites et moyennes entreprises.
En outre, il faudrait que les Sénégalais soitent éclairés sur la nature des fonds alloués (ou à allouer) par les bailleurs, Agence française de développement, Fonds monétaire international, Banque mondiale : dons, prêts avec intérêts, prêt sans intérêts, ou apport de participation au capital propre de Senelec. Il faut aussi qu’on éclaire le gens sur l’utilisation de ces fonds : opérations et maintenance, fuel, location de centrales/groupes, investissement construction d’infrastructures physique/logiciels (usines de production, compteurs électriques, lignes de transmission et distribution). Connaître cette répartition est primordiale, c’est un des facteurs les plus importants dans la détermination du tarif. Quel sera le ratio captital propre contre dette une fois ces financements reçus ? A cet effet, les bailleurs de fonds doivent exiger une répartition du capital dès le départ enfin de minimiser l’impact sur le tarif pour les consommateurs. Ensuite, les bailleurs de fonds doivent imposer aux autorités sénegalaises la modification de la réglementation sur les hydrocarbures s’ils devaient financer le fuel, sinon cet argent est condamné à disparaitre. Enfin, les bailleurs doivent être regardants sur l’impact des compteurs intelligents sur les factures et le coûts de ces compteurs sur le tarif dans la mesure où la Senelec est autorisée à faire des profits sur les compteurs. C’est trop facile de dire que le plan Takkal est composé de trois volets.
La rationalisation doit ensuite porter sur le cadre juridique dans lequel se meut la mise œuvre du plan Takkal surtout concernant l’approvisionnement en hydrocarbures.
Si le Sénégal perd près de deux cent milliards (200 000 000 000) de F Cfa chaque année du fait de l’impact des délestages sur l’économie, il risque davantage de perdre une partie très importante du financement du plan Takkal du fait du caractère obsolète de la réglementation sur les hydrocarbures qui ouvre un grand boulevard de détournement du fonds, d’enrichissement illicite et de conflits d’intérêts. Une bizarrerie s’installe car ce plan de restructuration qui oublie délibérément de restructurer les mécanismes juridiques néfastes sur l’approvisionnement de combustible faisant l’affaire de quelques prédateurs de l’argent public. Cependant, il faut qu’on cesse de nous faire croire de façon mécanique et irréfléchie que la crise énergétique est une crise de croissance résultant de performance économique. Le financement du plan Takkal risque d’être détourné - surtout en période préélectorale - si les textes régissant les hydrocarbures ne sont pas fortement modifiés.
Deux ans avant l’alternance politique au Sénégal, l’Etat s’est doté d’une nouvelle réglementation sur les hydrocarbures, après un constat d’un certain nombre de contraintes liées essentiellement au poids de la fiscalité, de la dispersion des textes, de l’absence de dispositions réglementaires concernant certains aspects relatifs à la spécification des normes, le stock de sécurité etc. Ainsi, le législateur sénégalais s’est fixé, entre autres objectifs, de promouvoir la libéralisation totale des activités du secteur et de stimuler la concurrence en vue d’une diminution du coût des produits. Dans le dessein de faire jouer cette concurrence, le dépositaire de la souveraineté nationale a voulu aller dans le sens d’une abolition du monopole existant sur les segments de la chaîne d’approvisionnement, c’est-à-dire, l’importation, le raffinage, le transport et la distribution. C’est dans ce souci de légiférer qu’un certain nombre de textes de nature législative comme réglementaire sont pris. Il s’agit principalement de la loi N°98-31 du 14 avril 1998 relative aux activités d’importation, de raffinage, de stockage, de transport et de distribution des hydrocarbures. Trois jours plus tard, c’est-à-dire le 17 avril, deux lois sont prises, l’une pour modifier et compléter certaines dispositions du livre II du Code général des Impôts (loi N°98-37 du 17 avril 1998), l’autre pour instituer des surtaxes à l’importation de certains produits (loi N°98-35 du 17 avril 1998).
Dans le dessein d’assurer une bonne mise en œuvre de la loi N°98-31 du 14 avril 1998, des textes d’applications sont élaborés pour les renforcer. Ainsi en application de l’article 4 de la présente loi, le décret N°98-337 du 21 avril 1998 est pris pour fixer la composition et les règles de fonctionnement du Comité national des hydrocarbures. Dans un rapport de présentation très laconique, le texte précise substantiellement que «le Comité national des hydrocarbures est un organe consultatif composé de représentants des principaux ministères concernés par les activités du secteur des hydrocarbures, ainsi que des structures telles que la Direction générale des Douanes et le Port autonome de Dakar en raison de la place et du rôle qu’elles occupent dans la chaîne d’approvisionnement». D’autres textes réglementaires, datés du même jour, sont également pris pour fixer les conditions d’exercice des activités d’importation, de stockage, de transport et de distribution des hydrocarbures (décret N°98-338 du 21 avril 1998) ; pour fixer les modalités de calcul des droits de passage (décret N°98-339 du 21 avril 1998) ; pour fixer les modalités de constitution des stocks de sécurité des hydrocarbures raffinés (décret N°98-340 du 21 avril 1998) ; pour fixer les spécifications applicables aux hydrocarbures raffinés (décret N°98-341 du 21 avril 1998) et enfin pour fixer les modalités de détermination des prix des hydrocarbures raffinés (décret N°98-342 du 21 avril 1998).
Malgré cette réglementation fournie, le problème de l’approvisionnement du Sénégal en hydrocarbures se pose avec acuité. Les entreprises sénégalaises exerçant dans le secteur ont du mal à voir la mise en œuvre la concurrence dans la fourniture d’hydrocarbures alors qu’elles disposent des mêmes compétences et parfois plus que les entreprises étrangères. Ce qui nous pousse à nous interroger sur les facteurs juridiques bloquant la libre concurrence dans l’importation des hydrocarbures. Y a-t-il une indépendance d’action entre les acteurs intervenant dans le secteur des hydrocarbures ? Y a-t-il des risques de corruption dans les différents segments de la chaîne d’approvisionnement ?
Ces risques de corruption sont réels avec une omniprésence et une liberté du ministre en charge des hydrocarbures sur tous les segments du secteur, avec un comité des hydrocarbures dépourvu de véritables moyens de régulation du secteur.
En vertu de l’article 5 de la loi N°98-31 «toute entreprise envisageant d’importer du pétrole et/ou des produits dérivés pour approvisionner le marché national ou aux fins de réexportation doit, au préalable, obtenir du ministre chargé des Hydrocarbures une licence à cet effet». Ce pouvoir du ministre est laconiquement atténué par un avis (avec absence d’obligation de se conformer) du Comité national des hydrocarbures adressé à son président qui se trouve être le représentant du ministre chargé des Hydrocarbures. Il s’agit d’un conflit d’intérêt patent qui conforte les risques de corruption et de favoritisme néfastes à la fourniture de combustible avec en lame de fond une absence de concurrence des entreprises et une augmentation des coûts des hydrocarbures. Par ailleurs, un organe de régulation fort s’impose dans ce domaine mais pas à l’instar de ce qu’ils appellent Organe de régulation de l’aval du sous-secteur des hydrocarbures (Orah) en état de projet.
Cette indépendance du ministre chargé de l’Énergie sur l’octroi de licence en matière d’importation est valable également pour le stockage, le raffinage et le transport d’hydrocarbures. Cette mainmise favorise naturellement la corruption. Cependant, il urge de réformer le plus rapidement cette réglementation pour éviter qu’une partie des ressources du contribuable tombe davantage dans les poches de profiteurs à cols blancs.


Birahime SECK
Juriste,
Coordonnateur du Forum Civil à Guédiawaye
Tel : 00 221 77 519 88 41.
Email : bira.fsjp@gmail.com