jeudi 2 juin 2011

Facebook à la sauce sénégalaise

Le site de Mark Zuckerberg connaît un grand succès à Dakar. Il y fait notamment office de site de rencontres.

La gueule tapée, à Dakar. C'est l'un des quartiers populaires de la ville, on y trouve comme partout son lot de «cybers». Des locaux grands comme une chambre où s'alignent de vieux PC dans de petits box. L'heure de connexion coûte 300 francs CFA (0,45 centimes d'euros) et on reste une à deux heures. Sur les écrans, le plus connu des sites de réseaux sociaux semble presque faire office de fond d'écran. Mike, gérant d'un cyber du quartier explique: «Chaque fois qu'un client m'appelle pour de l'aide, je le trouve sur Facebook.» Il ajoute très vite: «Maintenant tout le monde est sur Facebook.»

Le quasi-désert du Net
Tout le monde? Peut-être pas. Encore faut-il avoir accès à Internet. Il reste difficile quand on habite un petit village de la Casamance ou du Sénégal oriental d'aller chatter sur Facebook. Selon l'Agence nationale de la statistique et de la démographie au Sénégal (ANSD) «plus de la moitié de la population (50,4% des ménages) n'y a accès qu’après une heure ou plus de marche.»

En France on compte 68,9% d'internautes pour toute la population; au Sénégal ils ne sont que 7,4%, et seuls 4% des ménages sénégalais possèdent une connexion à domicile.

Dans ce quasi-désert du Net, le succès de Facebook ne passe pas inaperçu. En France, 33% des internautes ont un compte Facebook, tandis qu’au Sénégal ils sont déjà 23% à surfer sur la page bleue et blanche.

Thomas Guignard est maître de conférence à Paris XIII. Spécialisé dans les services et les réseaux de communication, il a écrit une thèse sur Le Sénégal, les Sénégalais et Internet. Selon lui

«Tout le monde a déjà un téléphone portable au Sénégal. La vraie révolution, ce sera quand la 3G sera généralisée. Internet et Facebook pourront alors vraiment exploser.»

Facebook pour draguer

Mais alors que fait-on sur Facebook quand on est sénégalais? Evidemment, les mêmes choses que partout. De l'utile. Epier son ex et sa «nouvelle meuf trop bonne», «faire des coeurs sur les walls» (les murs), regarder les photos de gens qu'on ne connaît pas et qu'on ne connaîtra jamais, «liker» (dire que l’on aime) des groupes rigolos, oh oh oh, maintenir un lien fragile avec une vague connaissance de la maternelle, perdre du temps au travail.

Cependant différence notable et constat partagé: au Sénégal, Facebook est un haut lieu de la drague. Pour beaucoup- le réseau social est principalement utilisé comme un site de rencontres.

«Il y a moins de lieux de rencontres qu'en France, les relations filles-garçons sont encore un tabou pour ce pays musulman à 95%. Ramener une fille ou un garçon à la maison est très compliqué, Facebook est un lieu idéal pour la drague c'est sûr et certain», raconte Thomas Guignard.

Les gérants des cybers s'accordent sur le rôle d'entremetteur de Facebook. «La plupart des clients qui vont sur Facebook, c'est pour draguer», raconte en souriant Mike. Il se tourne alors vers son neveu, Soriba. «Lui il pourra vous en parler!» Le jeune homme s'en défend alors, un peu gêné. Il assure que «tous ses amis le font, mais pas lui». Mike sourit en coin.

«La plupart des gens qui se connectent entre eux sur Facebook ne se connaissent même pas dans dans la vraie vie. Ce sont des "amitiés" créées.»

Mamadou un autre gérant de cyber, n'a, lui, pas du tout honte d'expliquer qu'il «fait du passe-temps avec les filles». «Je parle d'amour, on se taquine. Des fois on se donne rendez-vous, certaines viennent, d'autres pas.»

Le réseau social s'inscrit ainsi dans une sorte de tradition du net au Sénégal. En 2007, Thomas Guignard notait en effet déjà dans sa thèse «l'engouement des internautes autochtones pour les "rencontres en ligne"». Facebook n'est d'ailleurs pas le seul site à bien fonctionner pour cette raison. Mike énumère les sites les plus fréquentés par ses clients en-dehors de Facebook: «Msn, 123 love, drague.net...»

Bling bling

On séduit donc. Socialement aussi. Comme partout, pour le coup, Facebook sert de vitrine sociale. Peut-être un peu plus pour les migrants. Plus que montrer les aspects les plus reluisants de leurs vies, certains n'hésitent pas à les fantasmer. Voire à jouer avec la vérité, comme le raconte Thomas Guignard.

«Les Sénégalais qui sont encore au pays vont regarder les profils des émigrés. Certains affichent leur opulence, posent devant des belles voitures, même si ce ne sont pas les leurs. L'idée c'est de donner une image de "on a réussi" alors même qu'ils vivent souvent dans des situations précaires. Cela entretient l'illusion et le désir de partir dans un pays où le taux de chômage est très important.»

Ambiance carrément bling bling. C'est souvent l'avis des facebookos partagés entre le Sénégal et la France. D'origine française, Aymeric est créatif en pub. Il vit aujourd'hui à Dakar et estime que sur ses 800 amis, une centaine sont sénégalais. Selon lui, l'ambiance tape-à-l’œil découle d'abord des photos exposées.

«Pour moi, en France, on utilise les photos pour illustrer sa vie, alors qu'au Sénégal, c'est vraiment pour se montrer. C'est beaucoup plus "show off". En France, quand tu tagues quelqu'un, c'est pour dire, "regarde, on était ensemble, toi aussi t'y étais". Au Sénégal on tague les gens sur des photos où ils ne sont pas, en mode "regarde-moi comme je suis beau, regarde-moi comme je suis belle".»

Il n'est ainsi pas rare de se découvrir tagué avec une quarantaine d'autres personnes sur une photo sur laquelle on n'est pas présent, mais dont l'auteur semble assez fier. Grosses lunettes de soleil sur la tête, ou portable argenté en main.

Fier de son pays

Parmi toutes les fiertés affichées, il en est une un peu originale pour un Français: celle de son pays. Vous viendrait-il à l'idée de devenir fan de la page France sur Facebook? 73.000 personnes sur 15 millions de facebookos français l'ont fait, certes. Mais au Sénégal, ce sont 55.100 personnes pour 237.000 facebookos sénégalais qui sont fans de la page nationale. Et la page en question est très active. Chaque statut posté croule sous des centaines de commentaires. Son créateur Seydina n'est pourtant sur Facebook que depuis un an. «Je suis venu dessus parce que c'était à la mode.» Pour lui, le succès de la page s'explique simplement.

«Cette page les gens s'y sentent comme s'ils étaient en famille. Ils peuvent discuter. C'est l'ambiance du Sénégal, tout le monde se parle.»

Lien social virtuel contre lien social réel

Sur Facebook c'est clairement tout le lien social sénégalais qui est transposé. Comme dans la rue, on peut taper la discute à quelqu'un qu'on ne connaît pas, ou même reproduire le long cérémonial des salutations sur le chat. «Tu vas bien? Et la famille ça va? Et ton père, il va bien? Et ta mère, elle va bien?»

Paradoxalement, c'est un peu aussi pour échapper à ce lien social omniprésent que l'on surfe sur Facebook. Comme explique Thomas Guignard,

«Passer deux heures sur Facebook dans un cyber permet de s'éloigner du giron familial. On a son intimité dans une vie structurée par la famille.»

Facebook traduit donc au Sénégal ce paradoxe d'un accès à l'individualité maintenu dans des codes sociaux forts. Aux dépens de la vraie vie sociale? Facebook marque-t-il le début de la fin du rituel du thé et des discussions enjouées, la nuit, sur les nattes dispersées devant les maisons? Pour les jeunes générations au moins, c'est à craindre.

«Maintenant, quand je sors, c'est pour le strict nécessaire», dit Seydina. Tandis que Youssoupha, jeune employé de boulangerie qui dit utiliser Facebook pour faire des connaissances et se connecter avec ses amis «en Europe ou partout dans le monde» reconnaît: «Avant, quand je finissais le travail, j'allais squatter dans la rue parler avec mes amis, mais depuis que je suis sur Facebook, je reste chez moi.»

Renée Greusard (Slateafrique)

Sexe, mensonge et vidéo à la sauce sénégalaise

Vengeance, chantage, erreur... Au Sénégal, plusieurs personnes ont vu leur vie bouleversée par la diffusion de photos intimes sur Internet. Un phénomène inquiétant qui remet en cause les valeurs fondatrices de la culture sénégalaise.

L’affaire DSK a fait une victime collatérale au Sénégal. Y.D. Diallo, une étudiante dans un établissement privé dakarois, a vu sa photo de profil sur Facebook diffusée par des médias sénégalais (TFM) et internationaux (France 24) qui l’ont présentée comme étant la victime présumée de Dominique Strauss-Kahn à New York le 14 mai 2011. Une méprise qui lui a porté préjudice. «C’est une amie qui m’a appelée pour me dire que ma photo a été diffusée à la télé et publiée sur le Net. Lorsque j’ai vérifié, je me suis rendue compte qu’elle disait vrai. Depuis, je suis choquée et je vais porter plainte», a-t-elle déclaré au cours d’un point de presse avec ses avocats.

Si ce cas a pu émouvoir, le préjudice qu’elle a subi est de loin moins important que celui de C.N.S., une femme cadre sénégalaise dans une compagnie d’assurance, dont les photos en très petite tenue sont encore disponibles sur Internet. A l’origine de ce déballage, la vengeance d’une épouse trompée. Les photos destinées à son amant sont tombées entre les mains de la femme de celui-ci. Mécontente, la rivale a tout simplement envoyé les photos dans la mailing-liste de la compagnie d’assurance. Et, depuis, les photos font le tour de la Toile. Une situation pénible pour la jeune femme, qui a porté plainte mais sans grands résultats: la femme coupable de ce délit réside aux Etats-Unis. L’affaire a longtemps défrayé la chronique au Sénégal.

Elsa Santiago, une Cap-Verdienne résidant à Dakar, a subi le même sort que la femme cadre. Son ex-copain, un tatoueur français a voulu se venger d’elle après qu’elle a rompu avec lui. Mécontent, Luc a usé du même procédé que la rivale de C.N.S. Il a diffusé sur Internet les photos de nus et les vidéos de ses ébats avec son ex-concubine. Ce qu’il a accompagné de ce commentaire vengeur: «Elsa la petite copine de l’actuel directeur général de…» et de donner le nom d’une grande cimenterie sénégalaise. A la barre du tribunal, Luc a voulu s’amender en déclarant ignorer la culture sénégalaise: «Je ne savais pas que c’était mal. Ce n’est pas de la pornographie, c’est de l’art. En France, cela n’aurait pas choqué.» Il a écopé d’une peine de six mois de prison ferme assortie d’une amende de 7 millions de francs CFA (environ 10.500 euros).

Règlements de comptes politiques

Diombass Diaw, responsable politique du Parti démocratique sénégalais (PDS, au pouvoir) à Dagana (ville du nord du Sénégal à 408 kilomètres de Dakar), a été l’acteur d’un "film pornographique" diffusé sur Internet par ses adversaires politiques. M. Diaw a été filmé à son insu en tenue d’Adam par Khadija Mbaye, une jeune commerçante qui a affirmé avoir été payée par des proches collaborateurs du ministre d’Etat Oumar Sarr, maire de la ville de Dagana et rival politique de Diombass Diaw. Il a affirmé que cette vidéo était utilisée comme moyen de chantage mais que cela n’a pas marché, raison pour laquelle elle a finalement été postée sur le Net. Diombass Diaw a porté plainte à la Division des investigations criminelles. Au terme du procès, Khadija Mbaye «la réalisatrice» et certains proches d’Oumar Sarr ont été condamnés à une peine de six mois de prison ferme assortie d’une amende de 10 millions de francs CFA (plus de 15.000 euros).

Si Diombass Diaw a préféré affronter ses maîtres-chanteurs au risque de dévoiler son intimité au grand public, tel n’a pas été le cas pour plusieurs responsables politiques qui ont accepté de se ranger derrière des rivaux à la suite de pressions de ce genre.

Au Sénégal, les codes comportementaux comme le «kersa» (pudeur, retenue) et le «sutura» (discrétion) occupent une place importante. Ils régissent la vie sociale et définissent la ligne de démarcation entre le légal et l’illégal. Avec Internet et la publicisation de la vie intime, ces codes prennent un sacré coup.

Des photos d’adolescentes sénégalaises nues diffusées sur Internet ont défrayé la chronique dans le paisible quartier de Liberté 5 de Dakar, la capitale. Les filles, mineures au moment des faits, avaient reçu chacune 13.000 francs CFA (20 euros) pour cette séance de strip-tease. Des vidéos pornographiques tournées sur la Petite Côte montrant les ébats de jeunes filles ont fait sortir de leurs gonds les associations de défense des valeurs islamiques.

Une séance de tam-tam montrant des femmes d’âge mûr mimant l’acte sexuel dans le plus simple appareil a également fait le tour de la Toile. Les femmes apparues sur la vidéo ont été convoquées à la Division des investigations criminelles et appréhendées pour cybercriminalité et atteinte à la pudeur.

En juillet 2010, un charlatan a été arrêté après que des vidéos et photos de ses clientes en tenue d’Adam ont été découvertes sur des sites pornographiques.

Ndèye Khady Lo (Slateafrique)

Tout ça pour ça !

Tout ça pour ça, serait-on tenté dire après que les rideaux sur le « dernier acte ? » d’un feuilleton des chantiers de Thiès 44, véritable navet politico judicaire imposé aux Sénégalais de toutes conditions, de tous bords depuis juin-juillet 2005 sont tombés hier, vendredi 20 mai 2011.

Soit près de sept ans pour une série à rebondissement au grès des humeurs ou des négociations du palais, comme le fameux protocole de Rebeuss avec à la clé la privation de liberté pour certains des mis en cause, notamment l’ancien Premier ministre et non moins maire de Thiès, Idrissa Seck ou encore son codétenu, l’ancien ministre, Salif Bâ pour ne citer que ceux-là. Sept ans que les Sénégalais subissent stoïques, une affaire qui s’apparente désormais à un gros mensonge d’Etat, grossièrement montée pour museler et/ou punir simplement un adversaire politique qui a eu l’outrecuidance d’afficher ses ambitions d’être Calife à place Calife. Une série infligée quasi-quotidiennement au peuple depuis 2005 qui n’en pouvait plus lui cependant de subir si ce n’est les inondations, notamment dans les banlieues dakaroises et dans plusieurs localités du pays, les coupures intempestives de courant, la cherté de la vie, le chômage endémique des jeunes, bref, le mal vivre sénégalais sous le régime libéral.

Avec la relaxe sans peine ni dépens, des quatre derniers présumés coupables d’une affaire qui en comptait bien plus et qui n’en finissait plus de nous ennuyer, mais qui, hélas, a entraîné drames et désolation, arrêt temporaire de travail, risque de perdre l’outil de travail et d’hypothéquer la vie des familles d’ouvriers et d’employés qui n’ont eu le tort que d’appartenir à des entreprises dont les patrons ont été « installés » malgré eux dans la Cause d’un féroce combat politique au sein du clan au pouvoir, les chantiers de Thiès 44 connaissent-ils en fin leur épilogue ?

Rien de moins sûr. Si le tribunal régional hors classe de Dakar a connu et mis en délibérée une affaire qui avait été déjà vidée par la Commission d’instruction de la Cour d’Appel de Dakar, juridiction supérieure si ça se trouve, qui, elle, après investigations et auditions avait décidé qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre qui que ce soit dans cette affaire et avait par conséquent délivré un non lieu, d’abord partiel, puis total à tous les protagonistes, a fini par rendre son verdict de relaxe pure et simple, ce que tout le monde attendait, voire imposait même, il reste qu’on peut s’attendre à ce que les avocats de l’Etat, curieuse appellation d’ailleurs, parce qu’on connaissait l’agent judiciaire de l’Etat, tout comme le procureur de la République, l’Avocat général, mais les avocats de l’Etat n’étaient pas coutumiers aux Sénégalais avant les chantiers de Thiès 44, remettent ça en faisant appel contre cet arrêt de la Cour quand ils auront fini de recevoir les instructions de leur client du palais.

Toujours est-il que le délibéré du juge et de ses assesseurs d’hier veut mettre un terme à ce qu’il est convenu d’appeler désormais « la seconde affaire des chantiers de Thiès 44». La commission d’instruction de la Cour d’Appel ayant connu de la première. Curiosité bien sénégalaise ! Mais qu’à cela ne tienne, hier vendredi 20 mai 2011, le tribunal régional hors classe de Dakar a relaxé l’entrepreneur Bara Tall et ses trois co-accusés sur la trentaine qui avait été pourtant visée et que l’Etat libéral, l’Etat-Parti démocratique sénégalais (Pds) plutôt poursuivait pour détournement de deniers publics, faux et usage de faux après leur avoir lui-même confié lesdits marchés, approuvé leurs devis, autorisé et certifiés leur travaux, établis les décomptes et commencé à décaisser au moment de l’éclatement des faits.

L’arrêt d’hier des juges prononçant cette relaxe pure et simple pour le leader du Mouvement « Yamalé » qui a bénéficié d’un soutien « jamais observée auparavant aussi bien au sein de la classe politique, qu’au niveau de la société civile « organisée », chez les travailleurs de son groupe que chez les citoyens lambda a été accueilli à travers tout le pays par un ouf de soulagement. Mais on n’a pas manqué de se dire : tout ça pour ça !

Les tonnes d’encre et de salive, les perquisitions, les persécutions, les interpellations, les auditions, les tentatives même de meurtre jamais démenties à l’encontre du ministre de l’Economie et des finances qui tout en étant loyal et dévoué à son patron a refusé fermement de cautionner un déni de justice depuis le début. Une inspection générale d’Etat (Ige) jusqu’à cette affaire, considérée, respectée et crainte, véritable gardienne de l’orthodoxie administrative et financière de l’Etat et de ses démembrements, qui s’en trouve décrédibilisée à jamais, au point que plusieurs voix s’élèvent aujourd’hui pour demander sa dissolution et son remplacement par un autre corps de contrôle qui aura au moins l’avantage de ne pas être marqué et qui aurait certainement quelques attraits pour tous ceux qui veulent servir dans ses rangs.

Son rapport, modèle du genre, s’est heurté à la désapprobation dès le début de tous les hommes de l’Art. Et même si il tendait, ce rapport, à assoir la thèse d’une « escroquerie générale » montée par Bara Tall et ses acolytes, qu’il accusait d’avoir profité des marchés de gré à gré, pour imposer des prix surélevés, une surfacturation en fait, il n’a pas entraîné comme pour les autres la conviction de la Cour. Mais ne fallait-il pas trouver coûte que coûte moyen de punir « l’insolent fils » pressé qui bravait le courroux de son père ? On s’y est pris très mal. Le quart des efforts, « intellectuels, politiques, financiers etc. » fournis pour concocter une telle accusation qui a fait flop, aurait suffi largement à développer le pays.

Il faut savoir se sortir d’affaire surtout quand celle-ci est sans issue, vaine et coûteuse comme celle de ces fameux chantiers de Thiès 44. Les magistrats qui veulent s’affranchir à jamais de la tutelle pesante et dévalorisante de l’Exécutif, auront certes par le biais de ce verdict moyen supplémentaire, signal en tout cas, de lui signifier la nécessité de leur rendre leur dignité pleine et entière. Ils entendent la prendre et l’indiquent sans équivoque. Voici venu assurément le temps d’un rééquilibrage des institutions et celui de sortir la politique du prétoire.

Par Madior FALL (Sud Quotidien) du 2011-05-21

KADHAFI, AGNEAU DE SACRIFICE: Le marchandage des Wade pour atteindre le Graal Obama


Les États n’ont pas d’amis, juste des intérêts. Fidèle à ce principe, le président sénégalais a choisi de sacrifier son plus qu’intime ami et frère, Mouammar Kadhafi, afin que son fils palpât les mains de Barack Obama, dans un scénario écrit imaginé et écrit par le parrain des insurgés libyens, Sarkozy.

Il se voulait le chansonnier du panafricanisme, le démiurge d’un continent malade de ses divisions, de ses guerres ethniques, de ses richesses, le sauveur ultime d’une Afrique paralysée par ses contradictions qui, elles-mêmes, sont la conséquence de la faiblesse politique de classes dirigeantes accapareuses des principaux leviers qui fondent le développement. Mais justement, à l’extrême limite de sa carrière politique, il se retrouve lui-même en contradiction avec ses propres idéaux, prisonnier d’une façon de faire la politique gravement répugnante.

Au soir d’une vie pour l’essentiel jalonnée de manœuvres plus ou moins licites au plan moral, il vient d’administrer un assassin coup de poignard à l’Afrique et aux Africains sur le dossier libyen. De quoi est-il question ? De politique, simplement. D’intérêts, essentiellement. De pouvoir, absolument. Me Wade n’a jamais été une bête politique, c’est un infatigable manœuvrier qui tournoie au gré des circonstances dans lesquelles il perçoit ce qu’il estime être ses intérêts. Comme disent les marxistes, c’est un situationniste. Nuance.

Beaucoup d’observateurs ont exprimé leur étonnement lorsque, avec une précipitation particulièrement suspecte, le chef de l’État sénégalais a annoncé « sa » décision de lâcher Mouammar Kadhafi au profit du Conseil national de transition dont il a reçu des dirigeants à Dakar et auquel il a donné autorisation d’ouvrir une représentation diplomatique à Dakar. Une telle générosité avec des inconnus qui ont presque tous mangé au râtelier du despote de Tripoli, ça doit avoir forcément quelque explication. Celle-ci, nous avons tenté de l’imaginer au regard de deux considérations objectives : un enjeu de politique intérieure au Sénégal, et la question libyenne au niveau de l’Union africaine. Une logique s’en dégage : le président sénégalais a froidement monnayé le dossier libyen.

En gros, pour lui-même. Mais les finalités de sa démarche sont prévues pour tomber dans l’escarcelle de son fils Karim Wade, sauvagement empêtré chez lui dans d’inextricables dossiers. Que s’est-il passé ? Tout a eu lieu autour de trois postulats. Quand les tapis de bombes déversés sur la Libye par les forces d’Africom et leurs supplétifs français et anglais depuis plusieurs semaines ne suffisent pas à chasser le colonel du pouvoir, et que l’Union africaine, même discréditée, parvient à exprimer une nette opposition de principe, donc politique, à ce militarisme occidental, il faut bloquer très vite la naissance d’un front favorable à la résolution politique de la situation de guerre en Libye. Les réseaux dormants françafricains sont alors activés.

OBAMA NE SUPPORTE PAS WADE…

Les Français savent trois choses de Wade : il est ami à Kadhafi, Obama ne le supporte pas, et il reste accroché à l’idée de transmettre le pouvoir à son fils d’une manière ou d’une autre. Alors, ils retournent le scénario : puisque Obama ne prendrait pas le risque de recevoir le père, le fils, ambitieux et faiblement transparent, prendrait bien sa place lors d’un événement mondial : le G8 de Deauville. En arrière-plan bien sûr. Le deal, Sarkozy l’a soumis à Obama et à Cameron en ces termes : « les gars, nous avons le même objectif de renverser ce psychopathe de Tripoli et d’installer nos propres bédouins au pouvoir.

N’oublions pas que le pétrole libyen est de pure qualité. Ce vieux con aurait dû fuir avec l’intensité des bombardements qu’il subit. Mais il a visiblement du coffre. Plus ça dure, plus ça va être compliqué. Et ça commence à grogner chez les Etats africains : Kadhafi a encore ses amis. Il nous faut fissurer le début de résistance à nos projets qui commence à faire des émules. Alors, je vous propose de faire d’Abdoulaye Wade notre cheval de Troie. Il est quasi intime de Kadhafi. S’il le lâche, ce sera un bon coup politique pour nos objectifs communs. » Cameron n’a pas d’avis. Il se range derrière Obama.

« Va droit au but, Nicolas. Qu’attends-tu de moi ? » Sarkozy s’exécute. « Barack, si tu acceptes une petite poignée de mains avec le fils de Me Wade, face aux caméras, il vendra Kadhafi. Ya-pas-de-doute ! Je le connais trop bien, Wade. Ça nous tranquillisera un bon bout de temps avec les récriminations des Africains. C’est le moins que tu puisses faire vu qu’avec les guerres d’Irak et d’Afghanistan que tu as sur les bras, c’est David (Cameron) et moi qui sommes toujours devant avec le colonel libyen. »

…LE FILS FERAIT L’AFFAIRE

Le vieux politicien s’effacerait, le rejeton incompétent ferait son petit cinéma devant les caméras du monde, un coup de pouce qui lui remonterait un tout petit peu le moral et de stature. Une poignée de mains avec Obama, c’est le Graal !

La contrepartie est de nature politique, et c’est Wade qui doit l’exécuter : dire à l’Afrique entière que « l’ère Kadhafi est terminée », exactement la même chanson (même si elle risque d’advenir), le même slogan psychologique co-fabriqué par les experts en communication de la troïka guerrière. Et Wade l’a dit. Où ? Sur la chaîne France 24, la télé de propagande de Sarkozy. « L’ère Kadhafi est terminée ! », a répété et martelé notre président.

Presque simultanément, un procédé iconoclaste s’en suit : la publication d’un communiqué de la présidence de la République du Sénégal à…Paris le 28 mai dans lequel le président Wade autorise le Conseil national de transition (CNT) libyen à ouvrir un Bureau à Dakar. Bizarre, même si les voies de la diplomatie peuvent être, elles aussi, insondables. Mais peut-être pas tout à fait, car Paris est justement devenu le parrain trop attentionné des « insurgés » de Benghazi. Le deal a été exactement exécuté ainsi, selon les termes des exigences de Paris et Washington.

Ce film au scénario duquel Me Wade a accepté de prendre part est un modèle achevé d’hypocrisie, de cynisme et de lâcheté. Mais il ne sert à rien de s’émouvoir. Une marque de fabrique, c’est fait pour écouler des produits, même toxiques. Ce jeu de massacres politiques sur les amitiés d’hier rappelle d’ailleurs les conditions dans lesquelles Wade a rompu avec Taïwan alors que la Chine populaire attendait à nos portes. Qu’avait-il dit dans sa fameuse lettre à son homologue d’alors, Shen Shui Bian ? « Les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts. »

En posant cet acte contre le « roi des rois » d’Afrique, Me Wade attend certainement de ses « amis » français et américains un peu plus de liberté de manœuvre en politique intérieure. Pas exactement un conseil comme celui naguère prodigué à lui par…Mouammar Kadhafi devant le parlement du Sénégal. « Fais-toi président à vie ». Non, ce serait trop espérer. Il souhaiterait juste une petite compréhension de la part des faiseurs de rois démocratiques !

Momar DIENG (JOURNALISTE)