mercredi 11 août 2010

PROJET DE DEVOLUTION MONARCHIQUE AU SÉNÉGAL: Les paroles qui confirment


PROJET DE DEVOLUTION MONARCHIQUE
Depuis quelque temps, le discours du président Wade et celui de son fils Karim sur la dévolution monarchique ont changé. Après les dénégations tous azimuts, on semble changer de tactique, en acceptant le principe et sa faisabilité, tout en tentant de donner le sentiment qu’un tel projet n’habite nullement le chef de l’Etat. Un plaidoyer plus ou moins déguisé, doublé d’une propagande qui joue sur un registre assez sibyllin se met petit à petit en place. On s’y prend pour réussir l’application d’un plan visant à divertir pour mieux faire avaler la couleuvre. Et par tous les moyens.

« Si Karim veut, je peux le laisser se présenter aux prochaines élections, car je ne vois pas, parmi les gens de l’opposition, qui peut le battre ». C’est cette phrase pleine d’équivoques et de considérations sournoises que Wade a lancée la semaine dernière devant des journalistes lors de son séjour aux Usa. C’est par ce bout de phrase laconique que le président de la République vient de parler au grand jour du sujet auquel il a toujours refusé de répondre directement. A chaque fois qu’il avait, par le passé, parlé de cette éventualité, il évoquait cela de façon allusive.
Aujourd’hui, les Wade (le président Wade et son fils) semblent se préparer à vider leur sac sur le sujet qui est depuis fort longtemps sur les lèvres des Sénégalais, au moins depuis plus de 5 ans. Le sujet était resté jusque-là presque tabou dans les coulisses du palais. On parlait plutôt de « rumeurs » dans les milieux du pouvoir. Parfois les tenants du régime semblaient agacés, dès lors que cette question était abordée. Les responsables libéraux, à la tête desquels, le chef de l’Etat lui-même se disaient « ahuris d’entendre parler de dévolution monarchique au Sénégal ». C’est en 2004, au plus fort de la lutte à mort engagée contre lui que l’ancien premier ministre, Idrissa Seck révélait aux Sénégalais le projet en cours : « le fils d’emprunt était sevré et que l’heure était à la promotion du fils biologique ».
Mais, jamais, le débat n’a été directement porté par le Président Wade et par ses proches. Encore moins par Karim Wade. Aujourd’hui, le signal est donné. Ou, comme diraient les observateurs les plus avertis, c’est le moment pour « sortir la grande artillerie verbale ». Même, Karim Wade en parle ! Qu’est-ce qui explique que le président Wade et son fils se livrent soudainement et à volonté aux questions de « confrères de l’extérieur » sur la dévolution monarchique ? L’explication se trouverait dans le fait que « Karim Wade utilise la théorie de la méritocratie républicaine de Léon Gambetta et son père Abdoulaye Wade pose les premiers actes de son plan secret pour se maintenir au pouvoir par procuration », explique Abdou Rahmane Thiam, Docteur en Science politique, professeur à l’Université de Montpellier en France.

Dernière botte secrète

Le Président Wade a enfin allumé les lampions de sa succession, avec une dose de calculs qui rappelle le jeu de dé. Bonjour la diversion ! Cette méthode bien calculée reste d’ailleurs son jeu favori. Et ce n’est pas gratuit. Une source, bien au fait du système électoral utilisé lors de l’élection présidentielle de 2007, révèle que « c’est un plan bien calculé pour endormir ses adversaires jusqu’à l’élection présidentielle afin de pouvoir rééditer le coup de 2007 ». Quel était le coup de 2007 ? Notre interlocuteur explique que « Moustapha Touré, président démissionnaire de la Cena, a bel et bien raison de dire que l’énigme de l’élection présidentielle de 2007 se trouve dans le fichier ». Pour ainsi dire que le fichier a été et reste piégé. C’est pourquoi, ajoute notre source, Wade veut endormir l’opposition jusqu’à ce que l’élection présidentielle soit organisée avec le même fichier électoral de 2007. Il préfère entendre les populations râler contre les coupures intempestives d’électricité, les inondations, la cherté de la vie et autres sources de mécontentement populaire, que d’entendre parler d’un « audit sans complaisance du fichier électoral », comme le veulent l’opposition et la communauté internationale. Car, tant que le fichier reste tel qu’il est, celui à qui profitera la technologie de fraude qui le sous-tend, gagnera les élections.

Casse-tête chinois de Wade

L’opposition radicale n’a jamais reconnu les résultats de l’élection de 2007 et a toujours crié à la fraude. Le boycott des élections législatives de juin 2007, devant le refus du gouvernement d’accepter un audit du fichier électoral, a aussi levé un coin du voile qui enveloppe encore la réélection de Me Wade au premier tour en 2007. Le mot d’ordre de boycott lancé par l’opposition a été amplement entendu. Ainsi, sur les 5 millions 2 mille 533 électeurs inscrits, seuls 1 million 738 mille 185 s’étaient rendus aux urnes. Soit un taux de participation de 34,7%. Alors qu’à titre de comparaison, le taux de participation avait été de 67,4%, lors des élections législatives de 2001. Comme pour signifier que celui qui venait d’être élu président de la république se montrait incapable de mobiliser 40% de l’électorat, pour faire élire des députés, alors que 54% des électeurs lui avaient fait confiance, trois mois auparavant ( ?).
Aujourd’hui, Wade pense ouvertement à parrainer la candidature de son fils Karim. Les résultats des deux dernières élections (législatives et locales) montrent que la tâche est presque impossible, si la famille Wade veut réussir son coup en comptant, exclusivement, de façon loyale et transparente sur les urnes et sur le suffrage des Sénégalais. La popularité du chef de l’Etat connaît une chute vertigineuse depuis au moins 2007. Sans compter qu’il est peu probable qu’il puisse convaincre les caciques de son parti à se mettre en phase avec lui dans la conduite d’un tel projet. Il aura naturellement en face Idrissa Seck pour combattre le projet, mais il est également sûr que beaucoup de caciques du parti vont se placer en embuscade pour torpiller une telle aventure. Même parti, Macky Sall jouera à rendre impossible la tâche. C’est la volonté des Sénégalais qui va s’avérer décisive si leur choix est libre. Ces derniers ont déjà donné une idée de ce qu’ils pensent de ce projet en humiliant aux élections locales de 2009 Karim Wade et ses prétentions, quand son père a tenté de le faire passer en contrebande pour occuper le fauteuil de maire de Dakar. Les dakarois avaient dit non.
C’est Abdoulaye Wade lui-même qui aujourd’hui justifie la décision des citoyens de la capitale de refuser son fils. Le chef de l’Etat dit : « Si Karim veut, je peux le laisser se présenter aux prochaines élections, car je ne vois pas, parmi les gens de l’opposition, qui peut le battre ». Il admet que son fils n’a pas la maturité et l’autonomie de jugement qui lui permettent d’envisager par lui-même une candidature pour diriger le pays, en reconnaissant qu’il lui faut son aval et son autorisation à cet effet. La candidature de Karim Wade est envisagée en fonction de l’existence ou non d’un candidat de l’opposition susceptible de lui faire mordre la poussière, mais non par rapport à sa pertinence et à sa signification politique pour le pays.
En réalité cette façon de se prononcer sur la candidature de son fils participe du bluff et de la dissimulation qui sont les moyens essentiels mis au service de la promotion d’un homme que tout disqualifie aujourd’hui pour prétendre aux charges que l’on tente de lui faire assumer dans le futur. Cette candidature ne peut prospérer que sous l’ombre du mensonge et de l’escroquerie politique. Dire qu’aucun candidat de l’opposition ne peut battre Karim Wade, alors que le maire actuel de la ville de Dakar l’a humilié en 2009, en l’empêchant de prendre possession de la commune, est le démenti cinglant apporté à un mensonge translucide fonctionnant comme moyen de propagande politique au service d’une cause qui, nous semble-il, est perdue d’avance.
«Un pays ne s’hérite pas, il se mérite», aurait dit Karim Wade, faisant fi du fait que c’est un truisme que de dire que «le pouvoir ne s’hérite pas». Car, les monarchies traditionnelles ont été réduites en cendre depuis la période coloniale. Et à l’heure où le suffrage universel détermine le mode d’élection du président de la République au Sénégal, il semble plus pertinent de substituer la notion de «conquête» à celle de « mérite », pour la bonne et simple raison que « celui qui conquiert démocratiquement le pouvoir est dépositaire d’une légitimité qui fonde la confiance sur la relation de pouvoir entre le gouvernant et le gouverné». Cette légitimité politique ne se «mérite» que par le tribunal des urnes. Il y a alors un préalable de «conquête» avant le «mérite».
En plus, l’article 4 de la Constitution du Sénégal de 2001 dispose : « Les partis politiques et coalitions de partis politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils sont tenus de respecter la Constitution ainsi que les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie. Il leur est interdit de s’identifier à une race, à une ethnie, à un sexe, à une religion, à une secte, à une langue ou à une région. Les conditions dans lesquelles les partis politiques et les coalitions de partis politiques sont formés, exercent et cessent leurs activités, sont déterminées par la loi ». Le journaliste Abdou Latif Coulibaly n’a-t-il pas raison de dire qu’ « un pays ne s’hérite pas, ne se mérite pas, il se conquiert » ?
Si Wade veut voir son fils se présenter à la prochaine élection présidentielle, il faut qu’il s’adonne à un préalable : à défaut de lui créer un parti, ouvrir les portes du Pds à Karim avant de lui laisser la place pour la candidature à l’élection présidentielle. Car, ce sont les partis ou coalitions de partis qui encadrent les candidatures aux élections au Sénégal avec des exceptions pour les candidats indépendants que la loi électorale précise (caution, nombre de signatures…). Mais, auparavant, Wade devrait convaincre certains caciques libéraux qui risquent d’opposer leur veto à ce « plan machiavélique ». Surtout que la cartographie politique de « l’ouverture de l’ère des sagas familiales » en Afrique subsaharienne, selon l’expression d’El Hadji Hamidou Kassé (ancien Directeur général du Soleil), pose une véritable entorse aux principes de la démocratie. Ce retour aux ordres et privilèges doit-il prospérer en ce 21e siècle ? Certainement non !

Du mérite de Karim Wade ?

Est-il suffisant d’être le « fils du président » pour prétendre devenir le « successeur du président » ? Cette question a une importance capitale dans le contexte actuel où le débat sur ce qui semblerait être un projet de dévolution monarchique prend de l’ampleur au Sénégal. Ce débat ne peut être clos, comme le demandent certains acteurs du régime libéral comme le Ministre d’Etat, porte-parole du président Babacar Gaye, suite à la déclaration de Karim Wade. Il s’agit ici, du point de vue sociologique, d’un « fait social total », c’est-à-dire, une question qui interpelle, juridiquement, culturellement, socialement…, tous les Sénégalais. Ce débat a donc généré une vigilance dans l’opinion et réveillé des démons qui prennent racine depuis des moments sombres de l’histoire du Sénégal : l’ère des dynasties où la liberté n’était pas accessible à tous. L’héritage politique existe au plan scientifique, mais il n’est pas forcément biologique. L’accès à la fonction de président de la République a, pour le cas du Sénégal, une origine constitutionnelle et non biologique. Et une autre question se pose : Karim Wade a, certes, les moyens de ses ambitions, mais, a-t-il le mérite de ses ambitions ? Si l’échelle du temps et la mise en situation comptent dans l’expérience d’un homme d’Etat, Karim Wade a-t-il mis autant de temps et d’efforts nécessaires pour arriver là où il est aujourd’hui et incarner au plan discursif la « méritocratie républicaine » ? Ce n’est pas évident ! Tout compte fait, le temps reste le meilleur juge de l’histoire.

2000, le repère qui gêne Wade

Le bon sens et la sagesse recommandent de méditer sur la manière dont l’alternance est survenue au Sénégal en 2000. Le Président Abdou Diouf ayant sans doute compris que ceux (le peuple souverain) qui lui avaient confié cette chose sacrée qu’est le pouvoir, voulaient la lui retirer. Il l’a rendue. Et avec la manière ! Même si certains détracteurs du régime socialiste affirment que les collaborateurs du Président d’alors n’avaient pas le même sentiment. Diouf avait accepté sa défaite et félicité au téléphone, avant la proclamation des résultats, son concurrent d’alors, Me Abdoulaye Wade, actuel président de la République. Cette forme d’élégance et d’esprit de fair-play avait hissé l’image de la démocratie sénégalaise à un niveau élevé.
Aujourd’hui, ces acquis démocratiques sont sur le point d’être pollués par une idée de dévolution monarchique. Car, les expériences de ce genre réalisées en République Démocratique du Congo (Rdc) avec Joseph Kabila, fils de Laurent Désiré Kabila, au Togo avec Faure Eyadema fils de Gnassingbé Eyadema et récemment au Gabon avec Ali Bongo, fils d’Omar Bongo, posent la problématique de la « démocratisation des Etats-nation » issus des processus de décolonisation. Dans une démocratie, un fils de président de la République devrait avoir l’humilité de s’abstenir de toute idée de succéder directement à son père au pouvoir. Pourquoi ? Parce que la notion de « méritocratie » pourrait ne guère émaner d’une quelconque « légitimité politique » dans la mesure où c’est le bénéfice d’une naissance qui semble plus influencer les positions occupées ou projetées. Ce qui traduit un manquement au grand principe de l’impartialité de l’Etat et des règles qui gouvernent le jeu démocratique.
Wade a l’habitude de donner en exemple le cas de Georges Bush Junior des Usa. Mais, faux exemple ! Non seulement la trajectoire de Karim Wade ne correspond pas objectivement à une forme de mobilité sociale comme c’est le cas avec Bush Junior, mais, ce dernier n’a aucunement succédé directement à son père au pouvoir. Il a d’abord occupé un poste de gouverneur de Texas et a attendu deux mandats du Président Bill Clinton qui avait remplacé son père pour se présenter et gagner l’élection présidentielle américaine de 2000 contre le candidat démocrate Albert Arnold Gore, plus connu sous le nom d’Al Gore. Loin de ce qui se fait en Afrique. Et qui semble se tramer au Sénégal.

Babou Birame FAYE

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