mardi 3 août 2010

Les paradoxes d’un projet « Wade à Wade »





Forme et fond du projet.

Notre pays est une terre d’imagination, tout le monde y est devin et les conjectures y vont bon train, à longueur de journée, des cours familiales aux lieux professionnels où la rigueur a dû s’en accommoder, en passant par les grand-places. Par ces temps-ci, l’actualité qui sucre le thé des citoyens, ou plutôt le "sale", c’est le projet « Wade à Wade ».

L’on suspecte le président Wade et son fils Karim d’être acteurs de l’un des scénarios suivants, dont l’épilogue reste le même, mais qui, du point de vue des rôles et responsabilités de chaque acteur, laisse apparaître une différence très instructive.

1er scénario : existence d’un projet commun entre Wade et son fils. Cela laisse entendre qu’il y a une entente, précédée par des discussions où il s’est manifesté un égal intérêt, et aussi un égal engagement et une égale responsabilité des deux parties, dans la réalisation du projet. Autrement dit, les deux sont actifs à tous les niveaux de la programmation et de la réalisation dudit projet.

2ème scénario : Le président Wade fait le voeu et a la volonté de voir son fils lui succéder. Ce projet lui est propre. En tant que chef d’orchestre, il joue le rôle le plus actif, prend seul les initiatives, et fait jouer aux autres, son fils inclus, les partitions qu’il juge à leur hauteur.

3ème scénario : Le fils, Karim, s’imagine qu’il peut succéder à son père à la présidence, puis, avec l’approbation de ce dernier, tourne ses prétentions en ambitions, et s’emploie à les réaliser avec la bénédiction du Père.

Cette distinction nous permet de mieux questionner la faisabilité du projet et de nous prononcer avec précision sur ses forces et faiblesses.

Les paradoxes.

Lorsque, au niveau du premier scénario, l’on imagine une entente entre le père et le fils, elle apparaît comme une relation horizontale où le projet, il me semble, se trouverait plutôt au milieu des deux parties face à face, chacune le repoussant vers l’autre. Alors que, pour faire avancer un projet commun, il faut pousser ensemble dans le même sens. Pour parvenir à cette vision, il faut avec un minimum de scepticisme, se situer au niveau des arguments de l’une et de l’autre partie. On ne peut promouvoir avec succès un projet qui nécessite l’adhésion du plus grand nombre, que si l’on arrive à motiver les autres à une alliance, en leur donnant à voir de manière claire leur intérêt, tant individuel que collectif, à sa réussite. Or, dans le cas précis, l’une et l’autre partie se gardent de clarifier leurs intentions, encore moins de se prononcer en faveur d’une officialisation de ce projet. On entend par-ci, par-là, « mon fils est un citoyen sénégalais, il a le droit de prétendre à la magistrature suprême » ou encore « si je voulais mettre mon fils à ma place, je saurais par où passer », « le pouvoir se mérite mais ne s’hérite pas… »

Le problème, dans ce cas de figure, réside dans l’impossibilité de promouvoir le projet dans la transparence et la clarté. L’on est obligé de saper les fondements même de la discipline de leadership, en dissimulant du mieux qu’on peut sa stratégie, en développant autour de soi une culture d’hypocrisie et de déloyauté, et en reléguant au rang de tare la culture de la confiance mutuelle et la discipline du partage et de l’échange d’information. Aucune alliance n’est possible avec une telle attitude, bien au contraire, on promeut la médiocrité, on perd progressivement estime et soutien, on rencontre résistance et défiance, pour n’aboutir finalement qu’à faire l’unanimité contre soi-même. Le projet serait donc voué à un échec dans de pareilles conditions.

Considérons le second scénario : que le président ait un tel v?u et s’emploie à le réaliser, au grand bonheur de son fils. Le projet établirait entre les deux parties une relation de figure verticale en direction du bas (du père vers le fils), où seul le père aurait un rôle actif dans la conception et la mise en oeuvre.
Il en résulte alors un problème au niveau des deux parties, par rapport aux objectifs mêmes du projet, mais aussi et surtout par rapport au statut et aux devoirs du père, qui, lui, incarne une institution.
Ce scénario implique que quelqu’un de quasiment inconnu, dans une attitude de soumission craintivement passive, avec un déficit handicapant de communication, puisse, de par la seule volonté de son père au pouvoir, accéder à la magistrature suprême d’un État démocratique. La démonstration d’aucune compétence ne serait donc nécessaire à l’accession à cette honorable fonction. Elle "s’hériterait" aujourd’hui, alors qu’il avait fallu, à celui qui l’occupe en ce moment, vingt-six années de lutte âpre, dédiée à l’avènement d’une démocratie fonctionnelle et à toute épreuve, pour aboutir à son élection – expression de la volonté du peuple.
Le statut du père à la station présidentielle, et les devoirs qui s’y rattachent vis-à-vis des lois, des institutions de la République, des partis politiques et de la société civile, des aspirations et ambitions du peuple sénégalais, constituent, face à ce projet, un rempart de scrupules et de décence, pour tout homme sensé et digne.
Comment, à partir de là, motiver le plus grand nombre à adhérer à un projet où, en dehors de leur personne et de celles de leurs protégés, les autres ne mériteraient que renoncement à leur identité, au respect des leurs, à leurs ambitions, leur passé de militant, leurs valeurs, leur foi, leurs croyances, leur idéal collectif, leur liberté de choix et leur dignité ?
Deux schémas seulement pourraient conduire à un tel naufrage, ou sabordage, de la société :

1. Une identification absolue entre le leader Wade (président de la République) et la majorité des Sénégalais,
2. Une dynamisation de la corruption machiavélique.

L’identification suppose que le président s’érige, par tous ses actes et comportements, en modèle d’intégrité, de Justice, d’éthique, de générosité et d’abnégation. Je laisse le soin à chacun d’apprécier si, oui ou non, tel est le cas, mais, en tout état de cause, ce projet-ci ne serait pas un acte honorable pour un modèle dans le contexte sénégalais.

La dynamisation d’une corruption machiavélique à l’échelle nationale comme solution : je préfère croire que la sagesse de l’homme de plus 80 ans, de l’intellectuel "le plus diplômé de l’Afrique", du professeur émérite, du combattant infatigable de l’émergence de l’Afrique noire, toutes ces qualités et tant d’autres réunies, l’en préserveront. Son fils, en tant que citoyen parmi les plus favorisés de cette nation, n’a pas besoin davantage de son coup de pouce, si l’intelligence et les connaissances qu’on lui prête sont réelles. Il ne devrait pas lui en vouloir de le laisser se débrouiller seul et d’assumer avec responsabilité son destin. Ce faisant, le père se libérerait d’un stressant projet, pour se concentrer à la recherche d’une meilleure voie apte à aider au renforcement de notre chère démocratie, s’il ne veut pas clôturer sa belle carrière par un acte annihilateur.

3éme scénario : Le fils Wade s’imagine qu’il peut et doit remplacer son père…
Dans ce cas de figure de relation verticale orientée vers le haut (du fils vers le père), Karim devrait jouer le rôle principal, concevoir, mettre en oeuvre et assumer la communication de son projet. Ce serait plus rassurant pour le peuple sénégalais si tel était le cas, puisque, ce faisant, il démontrerait ses compétences politiques et son leadership. Cela ne semble pas être le cas, Karim n’est pas mieux connu des Sénégalais aujourd’hui, qu’il est super ministre d’État, qu’hier lorsqu’il assurait la présidence de l’ANOCI. Alors, le projet ne peut non plus prospérer dans ce cas de figure, vu l’absence totale d’actes essentiels à sa promotion.

En décortiquant ainsi ce projet d’actualité, je ne cherche pas à nier son existence dans l’imagination des parties évoquées, ni dans celle d’une fraction de la société, encore moins à endormir ceux qui s’emploient à s’y opposer. Je veux plutôt démontrer ce qu’il en coûte de le mettre en oeuvre et de le réussir.
En conclusion, je dirai que les Wade auraient plus à craindre d’eux-mêmes que de leurs opposants quant à l’avortement d’un projet de succession monarchiste, s’ils venaient à vouloir l’imposer aux Sénégalais.

Pour éviter que mes opinions soient mal comprises, je donne à méditer une consigne de Bill Gates, de Microsoft, à ses agents : « Consacrez votre plus grande attention à celui qui franchit votre porte avec colère, il n’en a pas après vous mais après nos produits ou services, c’est en celui-là qu’il y a le plus d’opportunités à saisir pour nous améliorer ».


Ibrahima Niang
Pdt de JOG CI/CIVIC
Cadre de l’initiative, du volontariat,
de l’imagination et du civisme.
Email : ibeniang@gmail.com

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire