dimanche 9 janvier 2011

MOMAR NDAO, PRÉSIDENT DE L'ASCOSEN : «Je ne peux pas, moi, signer un décret qui est contraire aux intérêts des associations de consommateurs»

Dans le second jet de l'entretien qu'il nous a accordé, le président de l'Ascosen est revenu sur le décret qui donne l'agrément aux associations consuméristes. C'est pour se défendre d'avoir fait signer «un décret qui est contraire aux intérêts des associations de consommateurs ». D'ailleurs, Momar Ndao annonce son retrait de l’Entente nationale des associations de consommateurs (Enac) après que celle-ci a décidé d’attaquer le décret sur les associations consuméristes.


Il y a un décret qui vous octroie l’agrément et vous permet de bénéficier de subventions de l’Etat. Comment en est-on arrivé là ?
Nous nous sommes battus depuis 1994 - quand il y a eu la loi 94-63 sur les prix, la concurrence et le contentieux économique, pour que l’Etat reconnaisse le travail de service public qui est fait par les associations de consommateurs et les assiste dans ce travail d’utilité publique. Aujourd’hui, l’Etat subventionne la presse, les syndicats… Nous pensons que, nous qui faisons un travail de service public devons être appuyés dans ce cadre-là par l’Etat comme cela se fait en France, au Etats-Unis, au Canada, en Côte d’Ivoire, au Bénin et au Burkina Faso qui subventionnent les associations de consommateurs. Depuis 1994, le décret était dans le circuit et nous n’avons pas pu avancer. Quand le nouveau ministre du Commerce est venu, puisque nous étions avec lui, depuis cette période en sa qualité de fonctionnaire du ministère, on a repris le flambeau de cette lutte et il a dit qu’il va réactiver le décret. Quand il nous a donné son accord, il a désigné l’Ascosen, donc en ma personne, et son ministère pour être les corédacteurs du projet de décret. C’est ainsi que j’ai participé à la rédaction du décret et nous nous sommes inspirés de ce qui se faisait déjà. Parce qu’il y avait un décret qui, depuis 1976, définissait les conditions d’octroi de la reconnaissance d’utilité publique aux associations ; c’est le décret n°76-199 du 17 février 1976 fixant les conditions d’octroi et de retrait de la reconnaissance d’utilité publique aux associations. Ce décret était un peu une base de travail pour nous parce que c’était le droit commun. Quand le projet de décret a été terminé, nous, associations consuméristes, avons eu une séance de travail avec le ministre du Commerce ; séance au cours de laquelle le projet de décret a été présenté par le ministre du Commerce. Et il n’y avait eu aucune réaction. D’ailleurs pour les taquiner, le ministre du Commerce a dit : «Ah bon ! Les nouveaux, vous n’avez rien à dire ? Notamment sur les deux ans minimum ?» Puisque dans le texte, on parle d’un délai de 2 ans qu’il faut attendre avant d’avoir l’agrément». Et là, les gens ont commencé à dire «est-ce qu’on ne ramener le délai à 6 mois». Et le ministre a proposé que le temps que le décret soit circularisé, s’il y a des observations, les gens peuvent venir les faire. Entre-temps, le ministre présente le décret au président de la République qui le signe immédiatement. Le ministre était tellement content qu’il nous a appelés (toutes les associations de consommateurs) pour nous présenter le décret signé par le président. Et quand nous sommes arrivés, tout le monde était là et certains présidents d’association étaient représentés, ils étaient tous contents de voir que le décret a été signé rapidement. Chacun d’entre-nous a pris la parole pour dire que nous étions très contents de voir qu’un combat qui date de 1994 a abouti. Et parmi les choses qui avaient été retenues lors de cette réunion, c’est que nous allions faire une lettre de remerciement au ministre du Commerce pour avoir réussi à faire passer ce décret qui depuis 1994 était dans le circuit, au Premier ministre le cosignataire et au Président de la République le signataire.


Mais que s’est-il passé pour que l’Enac décide d’attaquer le décret devant les juridictions ?
Mais quelque temps après, lors d’une autre réunion qu’on avait eue au ministère du Commerce, Me Massokhna Kane de Sos Consommateurs dit qu’il voulait nous entretenir du décret, que lui n’est pas d’accord parce qu’il y a des pièges. D’abord, nous avons dénoncé le fait que son représentant ait approuvé comme tout le monde lors de la présentation du décret par le ministre et que lui remettait en cause, son représentant en prenant son contrepied. Nous lui avons aussi demandé de nous citer les pièges, mais il n’a pas pu le dire. Nous lui avons demandé de faire un papier dans lequel il nous liste les pièges qu’il y a dans le décret. Il fait le papier, mais dès qu’il a fini de le faire, il nous l’envoie, mais le balance dans la presse en même temps alors que nous sommes dans une organisation qui s’appelle l’Enac. Ce qui était déjà très gauche. Et dans ce papier, il n’y avait que sa vision qui n’était pas encore discutée. D’ailleurs, il m’interpellait dans ce papier. Moi, j’étais à l’aéroport, c’est de là-bas que j’ai vu sur mon mail le papier et j’ai répondu point par point aux interpellations qu’il avait données. Interpellations qui étaient d’ailleurs toutes erronées à 99% parce qu’il disait des choses qui n’étaient pas dites dans le décret.
Donc, en mon absence, il y a eu une réunion au cours de laquelle les associations de consommateurs présentes, (comme il y en a plein qui ont été créées il y a moins de deux ans, qui étaient un peu gênées parce qu’elles souhaitaient accéder à la subvention tout de suite alors que le décret demandait au minimum deux ans), elles ont suivi Massokhna Kane pour dire qu’elles vont attaquer le décret en annulation.
Mais dans le cadre d’une subvention, il faut ce délai pour que l’on sache si l’association va dans le sens qu’elle a déclaré etc., et ça c’est le droit commun, même en France, ce délai est de trois ans. Donc, ces associations qui ont moins de deux ans ont été manipulées par Massokhna Kane et elles ont dit qu’elles vont attaquer le décret. Or, ces mêmes associations, y compris Sos consommateurs, quand le décret a été signé, étaient toutes d’accord pour qu’on envoie une lettre de remerciement au ministre du Commerce, au Premier ministre et au président de la République. Il n’y avait pas eu une seule abstention par rapport aux décisions qui avaient été prises devant le ministre du Commerce. Et après cela, on sort et on livre dans la presse que le décret va être attaqué.

C’est paradoxal, ce que vous dites.
Justement ! Parce que les associations de consommateurs étaient parties prenantes dans la conception du décret en question parce que c’est moi-même qui les représentais là-bas. Je ne peux pas moi signer un décret qui est contraire aux intérêts des associations de consommateurs. Le seul problème qui se pose dans ce décret-là, et qui a été un peu à la base de cette manipulation de ces associations, c’est le délai de deux ans.

Alors pourquoi avoir mis ce délai de deux ans ?
Si vous dites que toute association qui est créée aujourd’hui peut être agréée aujourd’hui et recevoir des subventions aujourd’hui, vous allez voir la création de 1000 associations de consommateurs. Et en ce moment, on ne verra pas celles qui se sont engagées pour défendre les associations de consommateurs, mais on verra celles qui se sont engagées pour l’argent. Ce qui, à mon avis, est impensable. Même en France, il faut attendre trois ans pour bénéficier de la subvention. Et en plus, nous nous sommes inspirés du décret de 1976 qui octroie la reconnaissance d’utilité publique aux associations et qui représente à notre avis le droit commun et qui prescrit 2 ans de délai. En tant que responsable, en tant que cosignataire du décret, je ne pense pas qu’il soit raisonnable qu’on sorte pour dire qu’on va aller attaquer ce décret devant la Cour suprême, parce que notre association n’a pas deux ans ou que l’on ne pourra pas remplir les conditions exigées qui sont allégées au strict minimum.

Et quelles conséquences en tirez-vous après la décision de l’Enac ?
Nous avons décidé de quitter l’Enac pour plusieurs raisons. J’ai l’impression que nous n’avons pas les mêmes objectifs. Parce que si on avait les mêmes objectifs qui étaient de défendre les consommateurs…
Nous, on a travaillé 21 ans sans aucune assistance, sans aucune aide de l’Etat, pourtant, on a continué de travailler. Cette subvention, elle n’est même pas encore là parce que le décret, c’est un agrément qui permet aux associations de pouvoir saisir de manière officielle la Commission de la concurrence. C’est une habilitation à pouvoir saisir la Commission de la concurrence en application des dispositions de l’article 10 de la Loi 94-63 qui dit que les associations agréées peuvent saisir la Commission. L’autre aspect, c’est que cela permet aux associations de pouvoir requérir une assistance de l’Etat par rapport aux subventions. Cela ne veut pas dire que lorsque l’association est agréée, la subvention va automatiquement tomber. Non ! Il y a une procédure à suivre pour obtenir cette subvention.
De toutes les façons, nous pensons que si les associations de consommateurs ont pour objectif de défendre les consommateurs, la problématique de la subvention est secondaire. Si nous voyons aujourd’hui que des gens sont prêts à attaquer un décret, tout simplement pensant que ce décret est contre eux parce que n’ayant pas deux ans, je pense que la philosophie même du consumérisme est remise en cause.
Donc, nous, on ne peut pas continuer de travailler dans ces conditions-là.

Mais avez-vous fait ce décret pour écarter certaines associations de consommateurs ?
Certaines associations nouvelles, disent que moi, Momar Ndao, représentant les associations de consommateurs à la rédaction du décret, j’ai délibérément écarté les nouvelles, en mettant un délai de deux ans, puisque notre organisation est ancienne, je pense que ce n’est pas la réalité. Car, nous nous sommes inspiré du décret n°76-199 du 17 février 1976 fixant les conditions d’octroi et de retrait de la reconnaissance d’utilité publique aux associations et qui fixe le délai à 2 ans. Au contraire, j’ai toujours dit, dans chacune de mes interventions, que chacun peut créer une association de consommateurs, que nous sommes ouverts pour que tout le monde en crée. Parce que créer une association de consommateurs est très facile, mais l’entretenir, développer des arguments, travailler et avoir l’adhésion des populations, c’est cela le problème. Aujourd’hui, les gens, ils ne vont pas écouter n’importe qui, il faut que vous fassiez vos preuves. Si aujourd’hui on se regroupe et que les associations nouvellement créées soient majoritaires, elles vont voter des décisions que, forcément nous ne partageons pas. Et cette décision d’ester en justice, nous ne le partageons pas. Et une fois qu’elles ont pris cette décision, qui a été portée la presse, elles ont dit «non, on a été induites en erreur».

Ne pas partager la décision d’ester en justice contre le décret est-il un motif assez suffisant pour claquer la porte de l’Enac ?
Si des associations créées il n’y a pas un an, du fait de leur nombre, veulent semer la zizanie, ça, nous ne l’accepterons pas. Je ne peux pas travailler avec des gens qui prennent une décision aujourd’hui et demain prennent une autre. Nous, on a tout fait pour que les gens se regroupent etc., mais je pense qu’on ne peut pas continuer de travailler comme ça.

L’on vous accusera de casser la dynamique unitaire des associations consuméristes…
Oui, nous le savons. Mais il ne faut pas oublier que depuis 1993, nous avons pris des initiatives de regroupement des associations consuméristes. Nous avons créé la Fédération des consommateurs et défenseurs de l’environnement (Féconde), il y a eu des difficultés et l’on a laissé tomber. Il y a eu le Conseil national des associations de consommateurs (Conac) et il y a eu l’Entente nationale des associations de consommateurs (Enac). Même l’Enac, c’est une initiative que nous avions prise avec l’Uncs (Union nationale des consommateurs du Sénégal). Au début, il y avait des associations qui n’étaient pas d’accord et finalement on a pu, avec l’entregent de Jean-Pierre Dieng qui s’est beaucoup battu pour que les associations se retrouvent, remettre l’Enac. Il y a eu des difficultés, mais nous avons essayé de les surpasser pour pouvoir avoir la commune volonté de défendre les associations de consommateurs. Mais il faut le reconnaître quand même, c’est assez difficile parce que parfois les motivations ne sont pas pareilles. Parfois, il y a des motivations politiques et quand il y a une motivation politique alors que nous, nous ne sommes pas des politiciens, nous ne sommes pas des acteurs politiques, nous pensons que nous devons avoir une démarche scientifique et non politique. Alors quand parfois, il y a des démarches politiques, cela nous pose problème. Quand parfois il y a des démarches qui ne nous agréent pas, tant que cela ne décrédibilise pas le mouvement, on peut fermer les yeux. Mais des associations responsables qui prennent des engagements et qui ressortent pour dire qu’ils vont aller en justice contre ces mêmes engagements qu’elles avaient pris et qui ont été pris par des plénipotentiaires, nous pensons que cela ne fait pas sérieux. Vraiment, nous les gens nous connaissent pour nous être battus selon une certaine ligne qu’on veut préserver. Nous respectons, maintenant, les choix et les orientations des autres. Ce qui est important pour nous, c’est que les Sénégalais nous connaissent, cela fait 21 ans que nous travaillons, nous nous sommes tracés une certaine ligne, et nous voulons rester dans cette ligne. Cette ligne, c’est de défendre l’intérêt des consommateurs, c’est cela notre motivation principale. Les subventions, si cela vient, c’est bien, et si cela ne vient pas, on continue de travailler. Le jour où l’on ne sera plus convaincu de cette lutte, on laissera tomber, mais on ne trichera pas.

Est-il envisageable que l’Ascosen crée un autre groupement ?
Si parmi les associations qui sont là, il y en a qui souhaitent travailler d’une manière saine, oui, on pourrait se retrouver dans un autre cadre plus serein, mais avec des règles bien établies. Parce qu’aujourd’hui, nous n’avons pas de règles au sein de l’Enac. Il n’y a pas de règles d’éthique, il n’y a pas de règlement intérieur. Ce qui fait que c’est très difficile d’obliger quelqu’un à rester dans un créneau qui n’est pas dessiné. Ce qui me fait dire que si on doit mettre en place une structure, il faudrait que l’on se mette d’accord sur comment on va travailler, et devant chaque situation, quelle est la démarche à adopter. Mais aujourd’hui, c’est jusqu’à présent un peu informel et c’est pourquoi nous avons décidé de quitter l’Enac.
Propos recueillis par Bachir FOFANA
Parus dans l’édition Mercredi 5 Janvier 2011 du journal «Le Populaire»

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