mardi 4 janvier 2011

DISCOURS DE NOUVEL AN DU PRÉSIDENT WADE: Le Sénégal et le seuil de la pauvreté


Dans son traditionnel discours de nouvel An, prononcé le 31 décembre 2010, le Président Abdoulaye Wade a déclaré que le Sénégal était sur la bonne voie du point de vue économique, puisque, selon lui, «(il a fait) passer le revenu par tête de moins de 500 dollars, le seuil de pauvreté, avant 2000, à 1350 dollars en 2010». Poursuivant son allocation, il a ajouté que, «chiffres en main, le Sénégal a franchi le seuil de la pauvreté ; il a réussi à se hisser la tête hors de l’eau !» et que «les développements positifs cumulés ou enregistrés en 2010 nous placent sous de meilleurs auspices pour l’année 2011».
Cette déclaration mérite d’être nuancée, pour éviter d’affecter au pays un niveau de performances économiques qu’il n’a pas réalisé. En vérité, le Sénégal, malgré de réels progrès, n’est pas encore devenu un pays émergent .
Il est vrai que le pays a enclenché une dynamique de croissance économique honorable depuis 1995, oscillant dans un sillage légèrement supérieur à 4% par an en moyenne et gagnant ainsi année après année quelques petits points précieux dans la réduction de la misère . Ainsi, le taux de pauvreté de la population est passé de 67,9% en 1994/95 à 57,1% en 2001-2002 (soit une baisse de près de onze points de pourcentage en sept ans), puis à 50,7% en 2009 . Soit une baisse de 6,4 points de pourcentage seulement en huit ans. En d’autres termes, le Sénégal a été plus performant entre 1995-2000 qu’entre 2001 et 2009 en termes de réduction de la pauvreté. Le ralentissement de la dynamique de la réduction de la pauvreté dans la décennie 2000 s’explique par les difficultés constatées depuis 2006, le taux de croissance économique moyen n’ayant été, selon les données de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (Ansd), que de 3,15% entre 2006 et 2009, soit à un niveau très proche du taux de croissance démographique. Depuis près de quatre ans, le pays stagne donc dans sa lutte contre la pauvreté. Cette situation quelque peu morose est en déphasage avec le ton euphorique du chef de l’Etat.
Par ailleurs, le Président Wade a indiqué que le pays aurait presque triplé son Pib par tête en dix ans, le faisant passer de 500 dollars à 1350 dollars, sans préciser la source des données et la méthode de calcul retenue. Dans la base de données de la Banque mondiale, qui se fonde sur des normes comparables entre pays, le Pib par tête du Sénégal, en dollars constants, est de 534 $ en 2009 contre 474 $ en 2000 ; soit une augmentation de 13.2%. En dollars courants, il est de 1023 $ en 2009 contre 474 dollars en 2000, soit une hausse de 91.5%, en incluant l’effet des prix .
Si on retient cette dernière méthode, le Sénégal a affectivement dépassé, depuis 2007, le seuil mythique de 900 dollars utilisé par les Nations-Unies comme un des critères pour radier un pays de la liste des Pays les moins avancés (Pma). Les autres critères étant relatifs au capital humain et à la vulnérabilité économique.
C’est ce que voulait sans doute dire le Président Wade lorsqu’il a affirmé que le pays avait franchi «le seuil de la pauvreté». Le Sénégal continuera malgré tout d’être classé, encore pour quelques années, parmi les quarante-neuf Pma du monde. Et la sortie de cette catégorie de pays pauvres présentera à la fois des avantages (pour l’accès aux marches de capitaux internationaux) et des inconvénients (la perte de certains avantages commerciaux par exemple) pour lui. Pour y arriver, le pays devra, selon les Nations-Unies, «atteindre les seuils prévus pour deux des trois critères dans deux examens triennaux consécutifs effectués par le Comité des politiques de développement (Cdp)». C’est ce que le Cap-Vert a récemment réussi.

Moubarack LO
Ingénieur statisticien économiste (Ensae-Cesd, Insee, Paris)
Président de l’Institut Emergence
Email : moubaracklo@gmail.com

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