mardi 4 janvier 2011

Bara Tall comme Mittal

Les bizarreries judiciaires de l’affaire dite des chantiers de Thiès rappellent les célèbres procès de Moscou. Les procès de Moscou sont tristement célèbres. Ils étaient des chefs-d’œuvre en matière d’instrumentalisation du droit pour régler les conflits internes au sein de l’oligarchie soviétique. Personne ne prenait au sérieux les juges de Moscou. Qui prend aujourd’hui au sérieux les juges au Sénégal après l’histoire des négociations entre Wade et son ancien Premier Ministre, après l’affaire Djiby Ndiaye. C’est dramatique pour notre vielle démocratie.
Autant on peut comprendre le zèle de la police (la police est toujours celle d’un Etat, pour ne pas dire d’un régime), autant la docilité des juges devant les politiques est inquiétante. La police agit au nom et pour le compte de l’Etat alors que la justice est rendue au nom du peuple sénégalais. Et il est évident que les Sénégalais ne cautionnent pas cette justice utilisée comme bras armé de l’exécutif. Il est peut-être temps de s’arrêter. S’arrêter de temps en temps est la meilleure façon de prouver le mouvement. Le Sénégal est un mouvement frénétique depuis l’Alternance. S’arrêter permettrait de constater que c’est un mouvement qui sape les fondements de l’Etat. Il y a aujourd’hui une suspicion légitime sur la justice, une méfiance à l’égard de la police. Et, la Justice et la police sont parmi les piliers les plus importants de l’Etat de Droit, car incarnant le caractère impersonnel de la loi. En Israël, la police et la Justice en poursuivant le chef de l’Etat pour harcèlement sexuel et viol viennent de donner une leçon au monde en matière d’Etat de Droit en rappelant que nul n’est au dessus des lois, même le chef de l’Etat. Si le chef de l’Etat peut être poursuivi, aucun citoyen ne saurait mettre en cause les décisions ou l’impartialité de la justice. C’est pourquoi dans un Etat de droit la justice est la gardienne du temple contre toutes les dérives, surtout celles politiques. Les juges ne sont pas élus, mais ils ont une légitimité aussi forte que ceux qui le sont car ils doivent être les gardiens des vertus de la République dont la plus importante est de faire accepter par sa sérénité et son indépendance que nul n’est aussi dessus des lois mais aussi et surtout qu’un contrat de croupier avec un pouvoir en place est une ignominie.
Cette ignominie va avoir beaucoup de dégâts collatéraux surtout sur le plan économique. Quel investisseur sérieux prendra le risque de venir au Sénégal où un entrepreneur des BTP peut être jeté en prison non pas parce qu’il n’a pas respecté son cahier de charge mais pour atteindre et éliminer un rival politique gênant. Bara Tall aurait dû être célébre comme notre Rockfeller national pour avoir prouvé que l’expertise nationale est dans le benchmark international. La succes story de son entreprise a plus contribué à décoloniser mentalement les Sénégalais que tous les discours politiques. Un Sénégalais qui tient la dragée haute aux grandes entreprises françaises, contribuant ainsi à casser la mainmise des français sur notre économie est un héros. Un héros, on le célèbre, on ne le met pas en prison pour des raisons plus que douteuses. Cette immixtion permanente du politique qui étale ses tentacules dans la justice, dans l’économie, explique le fait qu’on ait peu d’investisseurs sérieux mais beaucoup d’aventuriers qui relèvent de l’ère coloniale au Sénégal. On aurait dû se glorifier de Bara Tall comme l’Inde le fait avec Mittal qui a racheté Arcelor. C’est là toute la différence. Les élites indiennes ont un orgueil national, les nôtres, surtout celles politiques, ne l’ont pas. Pire, ils sont encore dans le complexe colonial. Complexe colonial que nos élites économiques n’ont pas. Bara Tall a racheté Jean Lefébvre, Serigne Mboup est un pilier de Samsug pour l’Afrique. Le potentiel est là, mais ceux qui doivent indiquer la voie (les politiques) ont perdu le nord ou plutôt le situe au niveau de leur nombril.

Yoro DIA (texte paru dans beaucoup de quotidiens en novembre 2006 quand Bara Tall était en prison)

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