vendredi 5 août 2011

FINANCEMENT DU PLAN TAKKAL: Lumière sur un montage financier


Décrets à la pelle, nouvelles taxes saignant davantage les contribuables, virements de crédits préjudiciables à d'autres secteurs d'activités, alourdissement de la dette... L'argentier de l'Etat a dû s'exercer à des acrobaties pour le financement du Plan Takkal de Karim Wade. EnQuête revient sur le diable de détails de cette mobilisation certainement sans précédent.

«Nous pouvons dire que le financement du Plan Takkal est bouclé». L’annonce a été faite par Abdoulaye Diop, ministre d’Etat, ministre de l’Economie et des Finances le 26 juillet 2011. C’était lors de la signature d’une convention de financement de 57 milliards de francs Cfa pour le plan de relance et de restructuration du secteur énergétique dénommé Plan Takkal.

Plus de 30% entre ponctions sur budgets et création de nouvelles taxes

Toujours perfusée jamais guérie, du moins jusqu'à ce jour, la Senelec ressemble au tonneau des Danaïdes depuis plus d'une décennie. Paradoxalement, c'est un montage financier sans précédent, et à coups de décrets, pour que lumière pérenne soit à moyen et long terme. Le faisceau lumineux sur la mobilisation des ressources nécessaires - 650 milliards de francs Cfa – découvre les acrobaties auxquelles a dû se livrer l'argentier de l'Etat pour que le problème énergétique ne fasse plus perdre 1,4% de croissance à l’économie, comme en 2010.
Déjà, lors du Conseil des ministres du 30 mars 2011, le gouvernement annonçait dans un communiqué que «220 milliards de francs Cfa sur les 365 nécessaires cette année pour financer le plan Takkal ont été déjà acquis». Mais, c’est finalement 210 milliards de francs Cfa qui seront trouvés dans le budget national. Et comment ? A travers des ponctions effectuées sur d’autres budgets ministériels pour alimenter le Fonds spécial de soutien du secteur de l’énergie (FSE) créé par le décret 2011-161 du 28 janvier 2011. Selon la Loi de finances rectificative 2011, des réaménagements ont été apportés dans diverses lignes de crédits. C’est le cas notamment d’une ponction de 62 milliards sur les 92,5 prévus pour le prolongement de l’autoroute à péage de Diamniadio à AIBD-Mbour-Thiès. Une somme tirée de l’emprunt obligataire de 500 millions de dollars américains levés sur le marché financier international. D’autres crédits d’un montant de 114 milliards de francs Cfa ont aussi migré vers la cagnotte du plan Takkal.
A côté du budget de l’Etat, les autorités ont saigné aussi d'autres secteurs à travers la création de nouvelles taxes ou la migration de fonds initialement destinés à un autre usage. Dans ce lot, il y a le décret 2011-167 du 3 février 2011 instituant une taxe de «Contribution au développement du secteur de l’énergie» (CDSE) qui augmente de 100% le taux du prélèvement sur la valeur en douane des marchandises importées par voie maritime (de 0,2% à 0,4%) au profit du Conseil sénégalais des chargeurs (COSEC). Cette taxe affecte 85% des montants collectés au FSE. Idem pour les décrets 2011-170 du 03 février 2011, instituant une taxe dénommée «Prélèvement de soutien au secteur de l’Energie» (PSE), et 2011-171, portant modification des modalités de détermination des prix des hydrocarbures raffinés. Ces textes réglementaires portent sur de nouvelles taxes sur les hydrocarbures. Variant entre 1 et 5%, hormis le fuel, ils devraient permettre de mobiliser 45 milliards FCfa par an. Le décret N°2011-311 du 07 mars 2011, lui, affecte 95% des ressources du Fonds de développement du service universel des télécommunications (FDSUT) au FSE. Pour mémoire, le FDSUT a été créé par décret n°2007-593 du 10 mai 2007 en application de l’article 9 de la loi 2001-15 du 27 décembre 2001 portant Code des télécommunications. Ce texte prévoyait que les opérateurs de téléphonie versent au FDSUT «une contribution annuelle fixée à 3% au maximum du chiffre d'affaires hors taxes net des frais d'interconnexion réglés entre exploitants des réseaux de télécommunications ouverts au public». Et d’après nos informations, c’est seulement sur l’année 2007 qu’un montant de 7 milliards de francs Cfa avait été collecté auprès des deux opérateurs (Orange et Tigo) qui existaient en son temps. Depuis lors, plus aucune somme n’avait été collectée du fait des difficultés de l’Etat à mettre en place un Comité de direction, organe qui devait se charger de l’orientation et du contrôle du Fonds. Mais, selon des sources proches du dossier, pas moins de 40 milliards de francs Cfa sont à recouvrer auprès des trois opérateurs de téléphonie. Ainsi, si la somme est perçue, les 38 milliards iraient au Takkal. Un vrai détournement d’objectif si l’on sait que FDSUT avait été mis en place pour faire en sorte que les services de télécommunications couvrent l’ensemble du territoire.

Plus de cent milliards d’emprunt auprès des bailleurs
Les bailleurs de fonds sont aussi venus à la rescousse pour que cesse le rationnement de l’électricité au Sénégal. C’est ainsi qu’il est attendu de la Banque islamique de développement (BID) 100 milliards de francs Cfa. Le mardi 26 juillet dernier, la Banque ouest africaine de développement (BOAD) a mis sur la table près de 57 milliards de francs en trois accords de prêts. Ces accords sont destinés à financer l’acquisition de groupes conteneurisés pour un montant de 27 milliards, un projet de construction d’une centrale de la SENELEC à hauteur de 23 milliards F Cfa et la location de groupes électrogènes à 12 milliards. L'objectif visé est un accroissement et une sécurisation de la fourniture de l’énergie électrique dans le réseau interconnecté avec la production de 250 gigawatts/heure par année.
En outre, l’Agence française de développement (AFD) a aussi répondu à l’appel du pouvoir sénégalais avec un prêt de 40 milliards de francs Cfa pour la réhabilitation de 14 machines (moteurs et tribunes) des centrales de Bel-Air, Cap des Biches et Kahone ainsi que la mise à niveau du parc de fuel du Cap des Biches. De même, quatre moteurs de la centrale de Boutoute à Ziguinchor seront réhabilités mais aussi, la maintenance des groupes électrogènes de Kédougou, Tambacounda, Kolda et Vélingara.

A quand la lumière ?
A quel Wade se fier quant à la fin des délestages ? Est-ce le père qui l’annonce en septembre prochain ou le fils qui, devant les députés pour le vote du budget de son ministère l’avait différé en 2014 ? Ou encore, est-ce le Karim qui s’aligne sur les positions de son père lors de la signature d’un accord de prêt avec la Banque ouest africaine de développement (BOAD) ? Difficile de répondre aujourd’hui à cette question.
Mais pour Momar Ndao, président de l’Association des consommateurs sénégalais (ASCOSEN), «on peut mettre fin aux délestages sans que les Sénégalais n’aient de l’électricité en continu». Pour lui, il faut nuancer les propos des autorités en charge du secteur quand elles soutiennent que les délestages seront un mauvais souvenir pour les populations à partir du mois de septembre. «Les délestages pour manque de production (de combustible), ça, ça peut finir. Mais des pannes dans le réseau peuvent survenir à tout moment. Et cela revient à la même chose pour les consommateurs. C'est-à-dire qu’ils n’auront pas d’électricité. Ce qui importe, c’est d’avoir de l’électricité en continu», soutient M. Ndao.
Mais pour Djibril Thiongane, expert en énergie, «on ne fait que différer le problème dans le temps. Le problème, ce n’est pas avoir de l’argent et des financements. C’est comment dépenser cet argent». Pour lui, le système actuel et celui d’avant est le même. «Ce sont les mêmes conditions d’approvisionnement, le même système. Et ça, ce n’est pas régler la question». Mieux, il affirme que la Senelec est «prise en otage par un système» qui fait que le gain d’un milliard de francs Cfa engrangé dans l’appel d’offres pour son approvisionnement en combustible aurait pu être multiplié par quatre.


L’ALTERNANCE ET LE SECTEUR DE L’ELECTRICITE
Plus de 1200 milliards pour le plus grand échec des Wade


«L'échec de Samuel Sarr dans le secteur de l’énergie, c’est l’échec personnel, avant tout, du président Abdoulaye Wade». C’est dans une interview accordée au journal «Le Populaire» du 11 janvier 2011 que Jacques Habib Sy, Secrétaire exécutif de l’ONG Aid Transparence, avait tenu ces propos sur la situation énergétique du pays. Des propos confirmés par la pluie de milliards qui s’est abattue sur un secteur depuis 2000 sans pour autant que les Sénégalais n’aient une fourniture continue de l’électricité. En réalité, en cumulant les investissements prévus dans le cadre du plan Takkal et les financements antérieurs, près de 1200 milliards de francs Cfa ont été injectés dans l’électricité, soit l'équivalent du budget du Sénégal en 2006. Et les Sénégalais continuent toujours à s’éclairer à la bougie en attendant un règlement définitif de la situation qui n’est attendue qu’en 2014, quand les centrales à charbon seront opérationnelles.
En effet, n’en déplaise à Karim Wade qui avait soutenu le 13 février 2011 à la télévision nationale que «c'est 139 milliards de F Cfa qui ont été investis à la Senelec depuis 2000 et non 800 comme le soutiennent certains», la société d’électricité a déjà englouti plus de 631 milliards de francs Cfa en investissement, subvention sur le prix de l’électricité ou recapitalisation. Faut-il le rappeler, l’une des premières mesures de Wade nouvellement élu président de la République a été de dénoncer le contrat liant le Sénégal au consortium franco-canadien Hydro Québec Hélio. Cette rupture de contrat pilotée en son temps par Abdoulaye Bathily alors ministre de l’Energie, sous la houlette de Moustapha Niasse Premier ministre, s’était faite suite au rachat des actions de ce consortium à hauteur de 45 milliards de francs Cfa. S’en est suivie une recapitalisation de la Senelec pour 40 milliards de francs Cfa. En clair, le départ des Franco-canadiens a coûté au contribuable 85 milliards de francs Cfa. Sans compter qu’entre 2000 et 2004, les divers investissements faits à la Senelec étaient de l’ordre de 26 milliards de francs Cfa.
En 2008 également, dans un autre processus de recapitalisation, l’Etat avait déboursé 102 milliards de francs Cfa au profit de la Senelec. Ce, sans compter un investissement de 169 milliards de francs Cfa dans divers investissements dans le réseau, l’immobilier et la production. Mais aussi les 200 milliards de francs Cfa de compensation financière pour éviter les diverses augmentations du prix de l’électricité. Augmentation que les différentes compensations n’ont pu empêcher. Selon Momar Ndao, président de l’Association des consommateurs sénégalais (ASCOSEN), le cumul des différentes hausses du prix de l’électricité est de 49% et 89% respectivement pour les petits et grands consommateurs. Et cette année, il est prévu une compensation de 18 milliards de francs Cfa.
Mais de façon générale, entre 2006 et 2009, le secteur de l’énergie a coûté à l’Etat et aux bailleurs de fonds 480 milliards de francs Cfa en termes de subventions sur le prix de l'électricité, du gaz butane comme pour la recapitalisation des dettes de la Senelec et de la Sar. Soit 152 milliards en 2006, 120 milliards en 2007, 136 milliards en 2008 et une projection de 72 milliards en 2009.

(Article paru dans l'édition du 3 août 2011 du quotidien ENQUÊTE)

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