mercredi 17 août 2011

ELECTRIFICATION RURALE: Micmac autour d’un projet indien de 12,5 milliards

KEC International Limited, une société indienne exerçant dans l’électrification rurale, vient de saisir l’Autorité de régulation des marchés publics pour dénoncer des pratiques peu orthodoxes dans un appel d’offres portant sur l’électrification rurale financée par une ligne de crédit de l’Inde d’un montant de 27,5 millions de dollars, soit près de 12,5 milliards de francs Cfa.

L’Autorité de régulation des marchés publics (ARMP) est appelée à trancher dans un appel d’offres émis par l’Ambassade du Sénégal en Inde portant sur la sélection de compagnies indiennes dans le cadre d’un projet d’électrification rurale. En effet, la société indienne KEC International Limited a saisi le régulateur des marchés publics pour dénoncer une nébuleuse qui entoure ce marché d’un montant de 27,5 millions de dollars, soit plus de 12,5 milliards de francs Cfa pour un projet d’électrification rurale que doit piloter l’Agence sénégalaise d’électrification rurale (ASER). L’objet du litige est l’«appel d’offres sur le Site Web de l’Ambassade du Sénégal en Inde en date du 20 mai 2011 pour la Sélection de Compagnies indiennes dans le cadre de la Ligne de Crédit de 27,5 millions de dollars pour un Projet d’électrification rurale au Sénégal». Pour la société KEC International, il y a «assez d'éléments pour penser que cette procédure est contre la réglementation des marchés publics en vigueur en Inde ou au Sénégal, et elle est clairement entachée d’irrégularités évidentes».

Un appel d’offres lancé en catimini

La première irrégularité se situe au niveau des délais de publication d’«un avis de sélection en procédure d’urgence de fournisseurs indiens» effectué le 20 mai 2011 par l’Ambassade du Sénégal en Inde qui l’a publié sur son site web. Mais, selon le plaignant, «l'avis était publié pour une durée extraordinairement courte et inhabituelle de dix jours seulement pour un projet de cette dimension». Si c’est le code des marchés du Sénégal qui est appliqué, l’appel d’offres d’urgence doit au moins durer 21 jours. Pis, «il ne figurait sur aucun autre média indien ou sénégalais comme le demande la Convention de Crédit. Il n'était surtout pas publié sur le web site de l'Exim Bank d’Inde ou tout appel d'offres de ce type doit figurer». Mais le plus cocasse, c’est «la faiblesse du document» d’appel d’offres. En effet, «un document sommaire de 9 pages qui demandait une cotation de prix pour du matériel électrique avec des erreurs ou omissions flagrantes sur les quantités demandées d’une page à une autre». L'avis disait aussi que «la liste du matériel était seulement à titre indicatif et que les quantités définitives seraient connues une fois un Survey effectué sans en préciser la date ni la nature». Or, dans la pratique, pour ce genre de projet, une visite des sites ou une séance d’explications préalable était attendue des autorités contractantes.

Des spécifications techniques non spécifiées dans le dossier d’appel d’offres de 9 pages avec «des erreurs ou omissions flagrantes»

L’avis publié disait également que «l’évaluation des offres devait se faire sur la base de spécifications techniques (qui n’étaient d’ailleurs pas spécifiées) par le département compétent du ministère de l’Energie, qui avait le droit d’accepter ou de rejeter toute offre non-conforme, sans que les paramètres de conformité des offres ne soient décrits». Le plus troublant concernait l'ouverture des plis qui «devait se faire au siège de l'agence d'exécution du Gouvernement le samedi 04 Juin 2011 (jour non ouvrable) sans que le nom ni l'adresse de l'agence soit mentionnés». Pire, soutient la société KEC, «les sociétés soumissionnaires n'étaient même pas conviées à l'ouverture des plis qui normalement doit être faite en séance publique, selon la loi. Ce qui donne quand même peu de crédibilité et de sérieux à cette procédure». Et de se demander : «Comment assurer une transparence si même les sociétés qui ont envoyé des plis fermés ne sont pas représentées le jour de l'ouverture de ces plis?»
La réponse à ce questionnement se trouve, à en croire la société plaignante, dans le fait «qu’un Contrat aurait été signé par l’ASER avec un des fournisseurs indiens qui avait déposé une offre». La plaignante poursuit : «Comme nous le permet la législation au Sénégal et en Inde, nous avons envoyé une lettre de protestation à l’ASER datée du 03 août 2011. Étrangement, aucune réponse ne nous est parvenue à ce jour. Nous nous sommes également renseignés auprès d’autres sociétés indiennes qui ont soumissionné et qui sont dans la même situation d’incompréhension et de surprise que nous». Mais avant ce courrier à l’ASER, KEC International avait «envoyé un courrier de demande d’explications à l’Ambassadeur du Sénégal en Inde daté du 27 mai 2011 avec copie (au) ministre de l’Energie. (Mais) aucune réponse ou explication ne nous a été donnée jusqu'à présent».

L’Aser aurait déjà signé le contrat avant la fin de la procédure

C’est fort de toutes ces considérations que l’ARMP a été saisie pour qu’elle fasse «respecter la loi et démontrer que le Sénégal est un grand pays de droit où les sociétés sont choisies selon des règles sérieuses de compétitivité». Karim Wade, ministre d’Etat en charge de l’Energie, Ibrahima Sar, ministre délégué à l’Energie, Aliou Niang, Directeur général de l’ASER, l’Ambassadeur d’Inde au Sénégal, sont entre autres ampliataires de cette plainte auprès de l’ARMP. Et pour bétonner son argumentaire, KEC International a joint à son dossier la Convention de crédit signée le 27 avril 2011 entre le Sénégal et l’Inde, l’avis de publication sur le site de l’ambassade du Sénégal en Inde et les lettres de protestation des 27 mai et 3 août derniers.
Pour rappel, c’est le 21 avril 2011 que le Sénégal et l’Inde ont signé une convention de crédit d'un montant de 27, 5 millions de dollars «pour le financement d'un Projet d'électrification rurale». D’après ladite convention, «seules des entreprises indiennes sont habilitées à être retenues comme fournisseurs pour ce projet et que la procédure de sélection doit respecter le Code des marchés en vigueur au Sénégal et en Inde».
Bachir FOFANA
(Article paru dans l'édition du 17 mai 2011 du quotidien ENQUETE)

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